Sous une tenue anti-émeute

Nous proposerions donc de remplacer partout Etat par Gemeinwesen [« communauté »], un bon vieux mot allemand, qui peut très bien correspondre au français Commune.

—F. Engels, lettre à A. Bebel au sujet du “programme de Gotha”, 18-28 mars 1875

Machine de guerre et machine de soin », la Commune d‘Oakland s‘étendit sur 5 semaines et une place. Générant surprise et admiration, elle culmina avec la grève générale du 2 Novembre. Depuis 1946, ce n’était que la deuxième fois qu’il était question de grève générale aux Etats-Unis, et c‘est à Oakland, une fois encore, qu‘elle se déroulait.

De par sa constitution, la Commune d‘Oakland dut faire face à la reproduction du prolétariat dans une mesure qui dépassait les luttes précédentes et les autres mouvements Occupy; la confrontation avec le travail fût son moment d‘apogée tout autant que son chant du cygne.

Le texte suivant est une tentative de montrer les contours des 5 semaines du camp ainsi que des journées d’action qui ont suivi, en soulignant les limites de cette lutte. Les limites sont toujours intrinsèques aux mouvements, elles sont leur dynamique propre; il ne s‘agit pas de voir en elles des limitations. Par là, nous n‘entendons donc pas apporter un jugement moral extérieur, mais tenter de comprendre la dynamique de cette lutte. Si nous nous intéressons à la Commune d‘Oakland, c‘est dans la mesure où, par ses spécificités, elle fut le déroulement d‘un front d‘attaque plus net que les autres mouvements Occupy aux Etats-Unis. En même temps, nous nous intéresserons à la Commune d‘Oakland en tant qu‘évènement particulier nous permettant de comprendre la généralité du mouvement Occupy, et aussi, plus largement, le mouvement des occupations de places. Comprendre les limites de cette lutte revient donc alors à comprendre la dynamique d‘un moment de la crise générale d‘accumulation. Cette crise, dans chacun de ses moments, porte en elle un horizon: à l‘intérieur de cette horizon est contenu l‘abolition de l‘état présent des rapports capitalistes, ce « mouvement réel qui abolit les conditions existantes », tout autant que sa contre-révolution. Le communisme comme horizon de ce cycle de luttes est pour nous communisation, abolition de toutes les classes par le prolétariat, communisme comme processus immédiat. Cet horizon « n‘est pour nous ni un état qui doit être créé, ni un idéal sur lequel la réalité devra se régler ». Les « conditions existantes », celles de la crise et de la disciplinarisation du prolétariat, trouveront leur abolition dans la généralisation des attaques contre les limites propre à chaque mouvement, généralisation qui, alors, ne pourra être que rupture.

La ville

Le centre-ville d’Oakland, après avoir été un bastion du Ku Klux Klan dans les années 20, se retrouva dirigé par les grands patrons dans les années 30. Mais après la seconde guerre mondiale et son immigration de masse vers la ville due aux création d’emplois liés à la guerre dans le port et dans les usines, l’année 1946 et sa grève générale, la ville vit le début de l’écrasement du mouvement ouvrier et un développement urbain moderne qui nous mènent à la compréhension de la Commune d’Oakland.

Pendant la période de l’après-guerre, des Noirs immigraient dans l’espoir de trouver un emploi stable, tandis qu’un chômage montant commençait à ternir l’horizon. « Dans le vieux Sud, les Noirs pouvaient être cuisiniers ou serveurs mais ne pouvaient pas manger dans des restaurants publiques, tandis que dans la région de la Baie, “tu pouvais manger dans une cafétéria, mais tu ne pouvait pas bosser” « .[1]No there there. Race, class and political community in Oakland, C. Rhomberg, University of California Press, p. 119. Concernant Oakland, se reporter en premier à American Babylon: Race and the … Continue reading A partir de 1962, la restructuration du port, le remplacement d’une grande part de la force de travail par des machines et l’implémentation du système des containers créa une force de travail déqualifiée tout autant qu’une surpopulation. Cette surpopulation se retrouva ségréguée dans des ghettos[2]Nos excuses aux lectrices et lecteurs des Etats-Unis qui trouveront désagréable l’emploi du mot « ghetto » dans ce texte, particulièrement à celles et ceux qui vivent dans des lieux qui … Continue reading désignés pour cela tandis que le gouvernement fédéral démocratisait le logement pour la population blanche. Tandis que la population noire augmentait pendant les années 50 et 60, elle s’est retrouvée clôturée à West Oakland. La population blanche déserta le quartier et le harcèlement ethnique[3]« Ethnique » et « origine ethnique » servent ici à exprimer, faute de mieux, l’anglais « race », dans son utilisation commune et non-péjorative aux Etats-Unis. et le tabassage de Noirs devinrent le comportement normal du Département de Police d’Oakland, OPD. Le renouveau de système de transit de la Baie, BART (qui connecterait plus tard Oakland à San Francisco par métro), finit de détruire toute activité commerciale à West Oakland. En 1958, la construction de la voie rapide Cypress acheva la séparation de West Oakland du centre-ville et créa une barrière claire entre les deux quartiers. Toute construction de voies rapides ensuite continuerait la séparation de la ville en différents quartiers, c’est-à-dire, principalement, entre ghettos et banlieues résidentielles riches.

Après le début des années 60, la vie nocturne s’était déplacée vers San Francisco et la plupart des boutiques avaient fermé à West Oakland. A ce moment-là, le chômage monta de manière constante puisque les industries se déplacèrent et le quartier avait alors déjà plus du double du taux de chômage moyen national. Le soit-disant programme de « guerre contre la pauvreté » du président Lyndon Jonhson, bien que prétendant prendre exemple sur West Oakland, ne fit rien pour altérer l’exclusion des Noirs du marché du travail et du logement.

A la fin des années 60, le port était le second en capacité de stockage de containers et le Black Panther Party établissait, entre autres, le programme des petits-déjeuners gratuits. L’organisation était née à Oakland en 1967, conduisant une protection armée contre la police, et y resta, jusqu’à 1972-73, le plus fort centre de tensions sociales, lorsque le FBI parvint, avec le programme COINTELPRO, à détruire l’organisation, la transformant en gangs dévoués à l’autodestruction du ghetto. L’existence du Black Panther Party reposait sur une masse grandissante de lumpen-prolétaires (partiellement liée au retour de vétérans noirs et désespérés de la guerre du Vietnam) et un résistance forte et armée contre un département de police ouvertement raciste et violent. Il faut mettre en avant que le souvenir et l’histoire du Black Panther Party est toujours partagé de nos jours par la plupart des gens issus des communautés pauvres noires et on y fait référence dans la vie de tous les jours de manière constante. Il faut aussi garder à l’esprit que le contrôle policier des Panthers par l’OPD devint un modèle de surveillance policière des ghettos aux Etats-Unis.

Une nouvelle classe-moyenne noire émergea des années 70 à 90. Pendant cette période, le nombre de professionnels ou managers Noirs augmenta de 11 à 23% de la population et, à partir de 1978, le contrôle des autorités de la ville passa entre les mains de la bourgeoisie noire. Pendant ce temps, la pauvreté et le chômage continuaient leur ascension dans les parties les plus pauvres de la population noire. En 1989, un quart des familles Noires vivaient sous le seuil de pauvreté. Avec la pauvreté et la répression policière des mouvements sociaux émergèrent les gangs, pour les membres desquels le moyen principal de survie devint, avec le soutien de la CIA (vidant des avions de drogues sur le territoire des Etats-Unis et y installant les cartels d’Amérique Latine en échange du soutien aux contras) et de diverses mafias politiques, l’arrivée massive d’héroïne et de cocaïne, suivie par celle du crack dans les années 90. La création de ces gangs permit une pacification des conflits politiques et les meurtres « Noir sur Noir », c’est-à-dire la ritualisation du meurtre des pauvres par d’autres pauvres, devint la caractéristique principale de West Oakland, comme de tout autre ghetto des Etats-Unis. En même temps, face au dépérissement du ghetto, le gang devint, pour ceux qui ont été rejetté du marché du travail, l’une des dernières formes de communauté sociale existante, aux côtés de l’Eglise Noire. L’histoire de West Oakland des années 50 aux années 90, est l’histoire générale de la transformation du « ghetto communautaire » en « hyperghetto ». Ce que l’on y voit maintenant, c’est une « polarisation de la structure des classes qui, combinée à la ségrégation ethnique et au retrait de l’Etat-providence, a abouti à une dualisation de la structure sociale et physique des métropoles« [4]Loic Wacquant, Parias urbains, La Découverte, p.29 (trad. rev.) .

En même temps que le Black Panther Party émergea, la « Tax Revolt » commença. Celle-ci culmina avec le vote de la proposition 13 en 1978 qui fut la première limitation des taxes sur la propriété du pays. Depuis les années 60, les lieux de travail de la régions s’étaient déplacées en fonction de la concurrence fiscale qui eut lieu entre les différentes districts. La « Tax Revolt », de même que l’émerge du « service des secteurs » dans toute la région de la Baie à partir des années 70 (et dont fut de facto exclue la population noire) enclencha une attaque constante contre les ghettos à tous les niveaux de l’administration. Au niveau fédéral, à partir de 1972, le gouvernement Nixon dirige tous les fonds à destination du logement social dans le secteur immobilier privé.

L’immigration d’Asiatiques et de Latinos augmenta à partir des années 90, pour représenter, respectivement, 17 et 25% de la population totale en 2010. La population Latino se retrouva ségréguée principalement à East Oakland (bien que East Oakland ne soit pas du tout uniquement Latino, ses communautés Vietnamiennes, Noires et Chinoises étant très importantes) et les gangs Latinos prirent le dessus de l’économie de la drogue dans la ville à partir des années 2000. La guerre violente entre les Norteños et Sureños, les deux principales organisations Latinos de fantassins aux service des mafias Latino, se retrouva traduite dans des guerres locales constantes en Californie (auxquelles se sont joint les Border Brothers). Chacun de ces gangs principaux fonctionne comme une famille de nombreux gangs locaux, chacun ayant un territoire précis, appelé « set », qu’il doit constamment défendre contre les autres gangs. Pour qui que ce soit affilié à un gang Latino, cela veut simplement dire l’impossibilité de traverser la frontière d’un autre territoire au risque de se faire tirer dessus. Comme à West Oakland, le gang est pour certains la seule possibilité de survie économique tout autant que, pour ceux-là, l’une des dernières formes de communauté existante.

Pendant ce temps, une gentrification systématique de centre-ville commença à partir de l’époque ou Jerry Brown fut maire (1999-2007). Le centre-ville fut redéveloppée pour accueillir des bureaux et des lofts pour yuppies sous le projet 10K (amener 10 000 nouveaux résidents dans le centre-ville). Ce projet fut partiellement arrêté avec le début de la crise de l’Etat de Californie, mais avait déjà redessiné le centre-ville. Plus récemment, certaines parties de West Oakland se retrouvent colonisées par des cafés où des lignes de jeunes gens branchés et créatifs, ébahis par les bas prix du loyer, sirotent des macchiatos tandis que des galeries ouvrent les unes après les autres et que les fusillades inter-prolétariennes continuent à quelques centaines de mètres. De nouvelles aires sont développées par des entreprises privées et la mairie à côté du centre-ville telle que l’avenue Telegraph ou le « Korean Town Northgate » créé de toutes pièces. Presqu’aucun programme ou phénomène de gentrification n’existe à East Oakland; tandis que West Oakland avec sa proximité du centre-ville et ses maisons victoriennes veut être reconquis par beaucoup, East Oakland, éloigné, sans réseau de transport et architecturalement pauvre, n’intéresse personne. Une émigration dans les années à venir des plus pauvres de West Oakland vers les quartiers les plus éloignés de East Oakland est à prévoir.

A l’heure actuelle, le taux de chômage officiel pour Oakland est de 16,2% (la moyenne nationale est de 9,1%). La croissance de lʼemploi est négative avec une perte de 2,7% en 2011. Le taux officiel de crimes violents est de 16 pour 1000 à Oakland, soit 4 fois de plus que nationalement. Oakland, bien que 8ème plus grande ville de Californie est la 3ème ville en nombre de meurtres. Au-delà des meurtres directs, il faut prendre en compte tous les accidentés à vie suite à des blessures par balles et les victimes fréquentes de balles perdue. West Oakland, toujours la partie la plus pauvre de la ville, est composé aujourd’hui à 67% de Noirs. En dehors des sections du quartier nouvellement gentrifiées, il n’y a que quelques épiceries qui vendent principalement de l’alcool et presqu’aucune nourriture bon marché n’est disponible pour qui vit là.

La situation géographique de West Oakland, commençant à 500 mètres du centre-ville, explique en grande partie la constitution de classe et d’origine ethnique de la Commune d’Oakland. Un autre facteur important est que ceux qui se sont finalement fait expulser de West ou East Oakland deviennent sans-abris, et le centre-ville devient l’un des endroits les plus sûrs pour survivre en tant que sans-abri à côté des activités des lumpen-prolétaires, tant que l’on ne se fait pas chasser par l’OPD. Pour beaucoup de sans-abris, déclassés et dealers, la place de la mairie était d’une certaine manière déjà un camp, ou tout du moins l’un des lieux principaux où traîner de jour comme de nuit, bien avant la Commune d’Oakland.

Chronologie du mouvement

* 17 Septembre: Occupy Wall Street commence à New York et à San Francisco.

* 7 Octobre: le camp d’Occupy San Francisco est détruit par la police. Certains viennent soutenir le camp et affronter la police, au-delà des seuls milieux « radicaux » de la région.

* 10 Octobre: à Oakland, manifestation de plusieurs centaines de personnes, une douzaine de tentes sont installées sur la place devant l‘hôtel de ville, renommée place Oscar Grant.

* 15 Octobre: manifestation de soutien au camp, 2 500 personnes. Move On, groupe qui sert de façade au parti Démocrate, tente de prendre en main la manifestation. L’acteur Dany Glover est supposé tenir un discours historique au milieu du camp avec la maire. Arrivés au camp, ils se voient refuser l’entrée par l’ensemble des gens présents.

* 18 Octobre: un deuxième camp est installé en parallèle dans un parc du centre ville, Snow Park, le premier n’ayant plus de place pour des tentes supplémentaires.

* 20 Octobre: avis d‘éviction émis par la mairie.

* 25 Octobre: au petit matin, les deux camps sont détruits par un raid policier. 102 arrestations. La soirée qui suit voit des heures d’épreuves de force dans le centre-ville. Un ancien marine est blessé en plein visage, emmené entre la vie et la mort.

* 26 Octobre: l’après-midi, une manifestation de 3 000 personnes retournent sur la place, malgré le quadrillage du centre-ville par la police. Antagonisme généralisé envers la police tandis qu’une manifestation de soutien se déroule en direction de la prison. Une assemblée générale se tient dans la soirée sur la place et la grève générale est votée par 1700 personnes. Pendant ce temps, la fermeture de 5 écoles est votée par le district.

* 27 Octobre: un nouveau camp est installé sur la place. La mairie, déroutée par les réactions face au premier raid, laisse faire.

* 29 Octobre: manifestation contre la violence policière en centre-ville.

* 1er Novembre: le département de police fait paraître une lettre publique adressée à la mairie dans laquelle il remet en question le soutien déclaré de la mairie aux employés municipaux voulant faire grève. « Tout cela est très confus pour nous ».

* 2 Novembre: grève générale. 25 000 personnes marchent sur le port qui se retrouve bloqué, sans que la police ne l’empêche. Le long de la manifestation, nombre d‘enseignes sont vandalisées et des « piquets volants » sont organisés pour fermer de force les enseignes toujours ouvertes. Nombreuses attaques physiques de « casseurs » par des « non-violents » durant la journée. Le soir, une tentative pour occuper un bâtiment dans le centre-ville est attaquée par la police. Bataille de rues et barricades. 103 arrestations.

* 10 Novembre: un jeune homme est tué par balle aux abords du camp.

* 14 Novembre: deuxième raid policier contre le camp. Ce raid est en coordination avec le raid de tous les autres camps Occupy au niveau national.

* 21 Novembre: le dernier camp à Snow Park est détruit par la police.

* 12 Décembre: journée de blocage des ports de la côte Ouest. 5 000 personnes participent à Oakland. Les ports de Seattle, Portland et Longview sont bloqués en solidarité avec la lutte des travailleurs du syndicat ILWU à Longview.

* 28 Janvier: journée d‘action pour occuper un bâtiment en centre-ville. 3 000 personnes sont présentes au début de la journée. Aucun bâtiment n‘est occupé, 409 arrestations. L‘hôtel de ville est vandalisé.

Reproduction, camp et cochons

Si les gens sont venus au camp place Oscar Grant, c‘est avant tout pour ce qu‘il avait à leur offrir: de la nourriture, un toit, de la sécurité (vis-à-vis de la police), de la sociabilité,… L‘existence même de la Commune d‘Oakland va en directe opposition avec le cliché habituel qui veut que les révoltes des plus marginaux sont toujours les plus intenses, les plus violentes et les plus rapides, de même qu‘elle va en opposition avec l‘autre cliché qui veut que les plus marginaux ne peuvent jamais se retrouver dans un mouvement avec d‘autres classes (l‘opposition entre mouvement anti-CPE et émeutes des banlieues devenant une vision binaire au travers desquelles les luttes sont souvent vues[5]En cela, le mouvement étudiant anglais fut un autre contre-exemple. Les frais d‘inscription en université ayant été augmentés en même temps que baissaient les bourses familiales scolaires, … Continue reading ). C‘est pourquoi il est d‘abord important de souligner la différence entre la Commune d‘Oakland et les émeutes en Grèce de Décembre 2008. Si ces dernières étaient au niveau de la reproduction du prolétariat, elle n‘étaient jamais au sein de cette reproduction; elles étaient face à tout ce qui fait la reproduction du prolétariat, mais ne le reprenaient jamais en main. Le genre, la nourriture, le logement, les soins, la santé, n‘étaient jamais remis en question en Décembre 2008 par ce que la lutte ne prenait que la forme de la confrontation avec la police. La reproduction du prolétariat était devant les émeutiers, mais seulement sous l‘uniforme du flic. Le pillage était le seul moyen de remettre en question cette reproduction.

Les émeutes de Décembre 2008 en Grèce étaient un tournant historique car elles sonnaient le début d‘un nouveau cycle de luttes, en même temps que les nouvelles de crash bancaires annonçaient un nouveau cycle économique; depuis, les révoltes se sont approfondies en même temps que la crise. Au final, pour beaucoup, les souvenirs de la Commune d‘Oakland sont plus composés de cuisines gigantesques, d‘Assemblées Générales immenses, de foules, de tensions entre les différentes parties du camp, de questions aussi concrètes que « comment soigner une plaie? » ou bien « comment amener des sanitaires? », de rats, d‘engueulades et de rencontres, de bagarres et de danses que de batailles rangées avec la police. La Commune d‘Oakland, en cela, était un nouveau tournant: le terrain de la lutte n‘était plus uniquement dans le face à face avec la police, mais dans le face à face avec la reproduction du prolétariat. Ce que la Commune d‘Oakland confirmait, c‘était que les cycle de luttes tendent à se dérouler de plus en plus dans la sphère de la reproduction. La raison derrière cela est que (même dans les pays comme la Grèce qui, une fois que les mesures d‘austérité ont été mises en place, ont vu une baisse drastique du salaire nominal) la première relation des prolétaires avec la crise se fait au travers de la dévaluation du salaire réel (« salaire réel » dans son sens le plus large, c’est-à-dire en prenant tous les salaires indirects en compte): démembrement de l‘Etat-providence, hausse incontrôlée du chômage, bulle financière sur l‘immobilier due a un repli des investissement de la production vers la rente, éclatement de cette bulle pour les crédits aux particuliers et inflation galopante. Aux Etats-Unis, dans un contexte où le crédit au logement est central (en 2009, 67% des habitants d‘un logement étaient propriétaires), la crise a remodelé les rapports de classes: les logements sont saisis les uns après les autres[6]Il y a eu 1 887 777 classement en saisies immobilières en 2011 aux Etats-Unis, ce qui représente 1.45% des logements (1 sur 69). En 2010, cela touchait 2.23% des logements (1 sur 45), en 2009, … Continue reading, tandis que les quartiers les plus pauvres subissent de plein fouet la montée du chômage et continuent à s‘effondrer. A cela s‘ajoute la gentrification de certains de ces quartiers. Une compréhension de la crise doit passer par une réestimation du salaire réel; et une réestimation de celui-ci doit pouvoir prendre en compte le cours des loyers. Michael Seidman rappelle qu‘en 1936 les chômeurs à Paris consacraient 7,2% de leurs revenus pour le loyer.[7]Michael Seidman, Ouvriers contre le travail, Senonevero, p. 321. Le salaire réel est lié au coût de la reproduction, ce n’est pas seulement un nombre.

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La sphère de la reproduction englobe la sphère domestique, privée, ainsi que le rapport à l‘Etat. En somme, la sphère de la reproduction est tout ce qui est en-dehors du lieu de travail. Dans la sphère de la reproduction, on est, théoriquement, individu et citoyen en tant que force de travail destinée à se retrouver de nouveau dans le face à face avec le capital. La déconnexion qui est produite depuis les années 70,[8]Il est vrai que toute périodisation a tendance à simplifier. Ainsi la périodisation développée au sein du courant communisateur est très eurocentriste. La question n’est donc pas de vouloir … Continue reading c‘est que ce face à face ne va plus de soi, et que donc l‘individu et citoyen n‘est pas en même temps forcément force de travail face au capital. Il s‘ensuit que ce qui faisait qu‘il y avait une constante médiation entre la sphère de la production et celle de la reproduction ainsi qu‘une domination de la première sur la deuxième n‘est plus donné d‘avance, et la sphère de la reproduction apparaît alors parfois comme un moment autonome alors qu‘elle ne peut pas l‘être (elle ne peut exister que pour la sphère de la production). Ainsi, à partir de la restructuration, tout ce qui n‘avait jamais été remis en question par le programmatisme[9]Nous appelons programmatisme la période qui s’étend du milieu du XIX ème siècle aux années 70 (années de la restucturation). Il ne s’agit pas de voir en celui-ci, contrairement à Moishe … Continue reading ne devint plus une évidence: genre, sexualité, travail domestique, logement,… et les luttes se déroulèrent principalement autour de ces catégories dans un face à face constant avec l‘Etat.

Le cycle de lutte actuel ne fait donc qu‘accentuer une tendance générale de la restructuration: celle d‘un décentrement de la lutte de classe de la sphère de la production vers celle de la reproduction. Le Mai rampant italien puis l‘Autonomia furent en cela la marque d‘une rupture historique. Implication des femmes dans le mouvement des auto-réductions, mouvements massifs d‘occupations d‘appartements par des familles, constitution de Lotta Feminista, organisation de manifestations séparatistes à partir de 1975 en défense de l‘avortement, mouvement Wages for Housework, luttes de prostituées, question du genre dans l‘Autonomia, etc. ne furent possibles qu‘une fois que les luttes étaient sorties de l‘usine, avaient pris leur autonomie vis-à-vis des organisations traditionnelles et partaient à la reconquête du salaire réel.[10]Lire à ce sujet Les autoréductions, Yann Colonges et Pierre G. Randal (Entremonde). L‘occupation de la place du Capitole à Rome du 10 au 20 mars 1970 par le Comité d‘Agitation des Banlieues … Continue reading

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Il faut noter qu‘à Oakland, cette tendance fut et est toujours présente. Mis à part le blocage des ports du 12 décembre, tous les autres développement importants furent autour de la question de la reproduction: journée d‘action pour occuper un bâtiment du centre-ville le 28 Janvier, auto-organisation de femmes pour apprendre les techniques de premiers soins dans les quartiers en cas de blessure par balle ou par couteau, occupation en Mai d‘une ferme appartenant à l‘université de Berkeley, occupation de l‘école Lakeshore en Juillet, réoccupation en Août d‘une librairie vide à East Oakland, etc.

Comprendre le lien entre la Commune d’Oakland et les autres occupations de place sans faire de simplification ne peut se faire qu’autour de la question de la reproduction. S’il est vrai que certaines des occupations de places s‘identifiaient partiellement en opposition à un seul moment du procès de reproduction (le modèle de l‘état rentier en faillite structurelle pour le printemps arabe, les mesures d‘austérité en Grèce, le logement en Israël), certaines se plaçaient directement au sein de la reproduction (Espagne et Etats-Unis). Les premiers ont pu être étouffés, pour un temps seulement, sous une forme de frontisme. Ce frontisme s‘effondra lorsque la principale « revendication » était réalisée (chute de Ben Ali ou de Moubarak) pour se transformer alors en un cycle interminable d‘émeutes (les batailles épiques du prolétariat cairote) et de grèves sauvages (sit-ins interminables en Tunisie). Lorsque cette « revendication » échoua (vote des mesures anti-austérité en Grèce, maintient du régime au Bahreïn, lancement d‘une guerre civile par Khadaffi, gestes clairs du gouvernement israélien que rien ne serait fait), c‘est le mouvement qui s‘effondra. Les occupations en Espagne et aux Etats-Unis étaient les seules luttes qui n‘ont jamais pu s‘identifier sous aucune revendication et sont apparues comme un pur produit de la crise plus que comme un produit d‘un des aspects de cette crise. Mais ce qui est important et ce qui permet de lier tous ces mouvements, c’est qu’ils ont eu pour points communs un lien essentiel avec la crise, en tant que contenu, ainsi que la reprise en main de la reproduction du prolétariat, en tant que forme.

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S’il y a une tendance à l’autonomisation du moment de la reproduction, celle-ci ne se fait généralement qu’autour du rapport à la police. Il n‘y a d‘être-ensemble, que par ce que tout prolétaire est redevenu un pauvre. Il y a réunification par le capital de tout ce qui faisait la fragmentation du prolétariat en différentes strates. Mais cette réunification ne se fait alors que dans le moment de la reproduction, et elle ne se fait sous aucune autre base que celle de la discipline. La discipline est alors la tâche de l‘Etat, c’est-à-dire principalement la police et les tribunaux. C‘est en cela que la figure du flic se retrouve partout, actuellement, comme celle du principal ennemi. Et cela non pas par mécomprehension, mais par un simple effet de retour de frappe: le zonage géographique à l‘intérieur des pays devient de plus en plus marqué et la violence policière est une affaire constante, et, souvent, le seul rapport à l‘Etat et au capital.[11]Pour un développement plus en profondeur du rapport à la police et à l’Etat dans le cas de l’Etat rentier, se référer à Hanging by a Thread: Class, Corruption and Precarity in Tunisia, … Continue reading

La violence policière a fait s‘effacer certaines frontières dans le mouvement Occupy (les 700 arrestations du 1er octobre a New York, le gazage d‘une ligne d‘étudiants assis gentiment a UC Davis par un flic au visage impassible,…) et a fait que beaucoup de participants qui pouvaient être considérés comme « libéraux » se transformèrent en « radicaux » en l‘espace de quelques jours. Les destructions des camps, fut dans certaines villes le chant de cygne du mouvement, dans beaucoup d‘autres le moment de radicalisation. Oakland est dans la deuxième catégorie: après la première destruction du camp dans les premières heures de la matinée du 25 octobre -d‘un style militaire évoquant plus la prise de Fallouja que le « dialogue social »-, la soirée suivante devient alors une bataille rangée entre la police et les gens qui tentent de reconquérir la place. Les rues du centre-ville sont couvertes pendant plusieurs heures de gaz lacrymogènes et la police tire en permanence balles en caoutchouc, sac à billes, etc. Le marine vétéran Scott Olson, se retrouve blessé par un tir en plein visage de grenade lacrymogène alors qu‘il lisait le premier amendement de la constitution à une ligne de flics. Quand des gens se jettent sur son corps afin de l’évacuer, ils reçoivent de nouveaux projectiles. Ces images, ainsi que les bulletins de santé suivants de Scott Olson en faisant un martyr momentané, changent complètement la dynamique du mouvement ainsi que la réaction de la population. Quand 3 000 personnes se retrouvent l’après-midi devant la bibliothèque centrale, ils partent reprendre la place. Après plusieurs heures de lutte contre le quadrillage du centre-ville par la police, une assemblée générale est tenue, la grève générale est votée (sur 1 700 personnes participant à ce vote, seuls 100 ont voté contre et 15 se sont abstenus).

Concernant le rapport à la police, Oakland fut une exception par rapport aux autres mouvements Occupy. Dans les premiers jours, l‘assemblée générale vota l‘interdiction de laisser les flics pouvoir pénétrer le camp. Des équipes de patrouilles de nuit pour surveiller qu‘ils ne s‘approchent pas du camp furent présentes chaque soir. De plus, il suffisait que quelques flics essaye d’entrer dans le camp pour qu‘une masse se forme hurlant « Pigs go home! », et cela tandis que la police, probablement bridée par la mairie pendant les premiers temps du camp, cherchait généralement à éviter les confrontations.

L‘une des raisons est évidemment la mémoire du meurtre d‘Oscar Grant[12]Oscar Grant fut exécuté de sang froid par la police des transports (BART) la nuit du nouvel an 2009, d‘une balle dans la tête, alors qu‘il était menotté, plaqué au sol et sans arme. … Continue reading – dont l‘écho se retrouva dans le changement du nom de la place Frank Ogawa en place Oscar Grant dans les premiers jours du camp -, en tant que symbole de la violence subie par la population de la ville, sous le joug d‘un des services de police les plus notoirement violents et corrompus du pays.[13]Douze ans après le démantèlement du gang des Riders à l’intérieur de l’OPD (qui avait simplement organisé la pratique très courante au sein de l’OPD de planquer des fausses preuves, de … Continue reading Bien évidemment, les quelques cas devenus symboliques n’ont de symbolique que le simple fait qu’ils soient l’image d’une réalité absolument banale et quotidienne.[14]Beaucoup de forces de police en Californie sont célèbres pour avoir été volontairement historiquement constituées de suprématistes texans invités par les soins d‘une hiérarchie ouvertement … Continue reading

En plus des raisons précédentes et de la cruciale participation de personnes ayant grandies dans le ghetto, l‘importance des milieux « radicaux » à Oakland joua un rôle important. Le fait que ces milieux se soient formés à partir des occupations d‘universités en 2009[15]Au sujet des occupations de 2009, lire Communiqué d‘un futur absent (lamitrailleuse.wordpress.com). Celles-ci, particulièrement en Californie, formèrent un précédent évident au mouvement … Continue reading explique pourquoi ils ont pu ainsi intervenir aussi rapidement et s‘organiser au sein de la lutte en « groupes d‘affinité ». A cela s‘ajoute le fait que le camp ait commencé presque un mois après celui de New York, ce qui a permis à ces milieux de prendre du recul et de s‘organiser immédiatement de manière différente.

Mais une raison de plus expliquant la particularité d‘Oakland est à ajouter: la maire, Jean Quan, représente la frange la plus « à gauche » du parti démocrate. Elle fit ses armes dans les années 70 au sein de groupes maoïstes et était en tête de cortège des manifestations contre le meurtre d‘Oscar Grant. Malgré cela, elle n‘a jamais eu la moindre crédibilité dans le camp, et ce dès le départ. Cela peut être vu dans l’accueil que reçu la manifestation du 15 Octobre quand elle arriva au camp, marche organisée par Move On, façade pour le Parti Démocrate. De plus, à chaque fois qu‘une lettre de la ville était envoyé au camp afin de demander quoi que ce soit -pas de musique après une certaine heure, laissez les équipes de nettoyage venir dans le camps, avertissement d‘évictions, etc- elle était déchirée ou brûlée durant l‘Assemblée Générale aux cris de « Burn it! », suivie inexorablement d’un morceau de Michael Jackson dans les haut-parleurs). Son incapacité à pouvoir canaliser une partie du mouvement est ce moment où la lutte produit elle-même, et non comme une conscience extérieure, l‘impossibilité de toute réforme. La place pour une illusion selon laquelle il serait possible d‘humaniser la structure de la ville (y compris celle de la police) ou bien l‘économie est alors inexistante.

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L‘une des formes principales de nouveaux développements à la fois de résistance à la police et en même temps de pont entre les groupes « radicaux » et les jeunes issus du ghetto[16]Par « radicaux », nous n‘entendons pas les porteurs d‘une conscience juste à laquelle des jeunes grandis dans un ghetto ne peuvent jamais avoir accès, de la même manière que nous ne … Continue reading fut les manifestations FTP (Fuck The Police), organisées chaque fin de semaine a partir du 7 janvier. Si les manifestations n‘ont jamais été d‘un nombre particulièrement impressionnant, ce qui est remarquable, c‘est qu‘elles furent organisées par des jeunes représentant la jeunesse de West Oakland et des quartiers les plus pauvres de North Oakland. Arrivés au début du mouvements, ces jeunes développèrent eux-même et en l‘espace de quelques semaines des pratiques qui étaient vu jusque-là comme la propriété des seuls milieux « radicaux ». Ayant grandis au milieu des injonctions anti-gang[17]Injonction sur un territoire précis mise en place par un juge décidant, au nom de la lutte contre le traffic de drogue, qui peut ou non marcher dans ces rues (sans que soit prise en compte si la … Continue reading et du complet dépérissement des quartiers les plus pauvres d’Oakland, leur besoin d‘auto-organisation trouverait écho de Detroit jusqu‘à Compton.

La question de la reproduction devint, malgré tout, une limite au mouvement une fois que le camp n’existait plus et que cette reproduction n’était plus reprise en main mais simplement, de nouveau, affrontée. C’est ainsi que le jour du Move-In[18] En anglais, to move in veut dire emménager mais aussi intervenir. du 28 Janvier se retrouva dans la seule dynamique d’escalader le conflit avec la police. En visant un bâtiment colossal du centre-ville afin de le transformer en centre social, une partie du mouvement essayait de reconstruire le mouvement autour d’une dynamique centrée sur la question de la reproduction à l’intérieur de la ville, après la focalisation autour du port et le désastre de la lutte de Longview. Mais, en plus de viser un bâtiment bien trop grand et trop symbolique par rapport aux forces présentes (et dans une conjoncture où tous les autres mouvements Occupy touchaient à leur fin, tous les autres camps ayant été détruits méthodiquement à la même période que celui d’Oakland, mi-Novembre), des menaces publiques furent émises à l’avance prétendant bloquer l’aéroport d’Oakland si la police ne laissait pas l’occupation se dérouler. En pratique, malgré l’importance d’une telle menace aux Etat-Unis, cela n’eut jamais lieu et montre déjà que l’enjeu était mis plus du côté du conflit lui-même que de la nécessité des objectifs du conflit.

La question n’est pas de savoir si la stratégie était juste ou non – c’est souvent ainsi que la question fut ensuite posée. Malgré la perte de souffle du mouvement, plus de 3 000 personnes vinrent ce jour-là. Seulement, une fois que la police montra que ce qui allait se dérouler n’avait plus rien à voir avec le 2 Novembre ou le 12 Décembre, une partie des gens partirent immédiatement. Les heures suivantes furent uniquement dédiées à des batailles rangées entre la police et les manifestants qui restèrent, moins de 1 000. Aucun espoir de pouvoir conquérir un lieu n’existait et les batailles eurent lieu pour l’honneur d’être des batailles. Le prix à payer était élevé, 409 personnes étant arrêtées, et à partir de ce jour-là, beaucoup de l’énergie encore présente fut absorbée par les inculpations et l’anti-répression, les menaces de procès et les interdictions individuelles de se rendre aux alentours de la place. Bien que toujours situé au coeur de la reproduction, mais heurtant la limite de la reproduction si elle n’est pas vécue comme une reprise en main, ce jour-là, le mouvement fut pris dans une dynamique qui devint différente de celle du camp et la reproduction revint au niveau de la tenue anti-émeute.

Travail, grève générale et grain

Bien que la Commune d’Oakland fut centrée sur la question de la reproduction, l’envers du décor est qu’elle n’attaqua presque jamais la question de la production. Bien que beaucoup essayèrent d‘étendre la lutte au procès de travail, celui-ci était sa limite constitutive. La grève générale fut le moment où le mouvement pencha au-delà de ses limites et voulu s‘étendre au procès de travail. La liaison avec la lutte autour des fermetures d‘écoles aurait pu en être un autre. Ces deux moments ont failli dans la seule mesure où ils ne sont pas parvenu a dépasser les limites internes mouvement. Et cela non pas parce que quelque chose faisait défaut dans la stratégie, mais par ce que cette limite était une limite constitutive, définitoire, et qu’une généralisation du conflit ne s’est pas produit au-delà de la place Oscar Grant.

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Pour ce qui est des écoles, le budget du district, voté pendant la troisième semaine d’occupation de la place Oscar Grant, mis en place la fermeture de 5 écoles (toutes situées dans les quartiers les plus pauvres) à la fin de l’année scolaire. Cette mesure fait partie d’un plan plus large qui consiste à restructurer les écoles d’Oakland pour fin 2013; il est question que jusqu’à 30 écoles sur les 101 que compte le district soient fermées lors de sa mise en place. Malgré cela et malgré la participation importante de professeurs et d’élèves au camp, aucun véritable lien durable n’a pu se créer entre la place et les écoles, alors que certaines de celles-ci sont à 20 minutes à pied de la place. La Commune d’Oakland n’a pas pu se reconnaître dans une lutte joignant la question de la reproduction du prolétariat et celle du travail, une lutte située au coeur de ce qu‘est la crise aux Etats-Unis, c‘est-à-dire l‘imposition de mesures d‘austérité au niveau local. En dehors de la place, rien ne pouvait être attaqué.(L‘occupation de l‘école Lakeview qui eut lieu plusieurs mois plus tard (du 15 juin au 3 juillet) ne peut pas être présenté comme un réel contre-exemple. Peu de gens participèrent à l‘occupation et les consignes décidées par les parents et les professeurs étaient claires: aucune relation avec « Occupy Oakland » ne serait acceptée.))

Au-delà des fermetures d‘écoles, le moment-clé de la Commune d‘Oakland pour comprendre son rapport avec la sphère du travail est la grève générale et le blocage du port du 2 Novembre. Votée à presque unanimité des voix par 1 700 personnes au lendemain du premier raid policier sur le camp (beaucoup plus de personnes étant présentes à ce moment-là sur la place), la grève générale fut un défi. On peut voir celle-ci comme quelque chose d‘assez ridicule: une grève générale où ne participent que des gens qui ne font pas grève. Bien que cela n‘était pas dans la possibilité de beaucoup de syndicats (la plupart des conventions collectives n‘ont pas de clause stipulant un droit de grève)[19]Le droit de grève a été détruit aux Etats-Unis à partir du Taft-Hartley Act de 1947. Ce dernier avait été mis en place suite à la grève générale d‘Oakland en 1946., parmi ceux qui avaient cette possibilité, aucun d‘entre eux n‘a fait de demande de grève (alors que Ie ILWU[20]Syndicat qui représente avant tout les dockers sur la côte Ouest. Né après la grève générale de 1934, considéré comme l’un des derniers syndicats avec des positions parfois plus … Continue reading était pressenti pour). Seuls quelques syndicats comme le SEIU (sydicat de la fonction publique), avaient officiellement appelé leurs membres à prendre une journée de congé pour y participer (dans le cas du SEIU, un accord tacite avait été passé avec la mairie). Par conséquent, au-delà des précaires, des chômeurs et des sans abris, étaient présents le 2 Novembre les gens qui avaient pu prendre une journée de congés, ceux qui, travaillant dans la fonction publique, avait eu le droit de ne pas venir, ceux qui, comme les employés du ports ou de restaurants et cafés, ont eu une journée libre par impossibilité -plus ou moins aidée- de maintenir le lieu de travail ouvert, ou ceux qui on pris un arrêt maladie.

Ce qui est à noter, par contre, c’est le soutien que beaucoup de syndicats ont montré à la grève générale, en poussant leurs membres, en privé ou sur le lieu de travail, à prendre une journée de congé. Derrière cela, beaucoup virent une peur de ces syndicats de perdre du terrain et de la crédibilité, et de se retrouver complètement à la traîne du mouvement.

Mais ne voir que cela, c‘est ne voir qu‘une facette de ce jour-là seulement. Ce qui est notable, le 2 Novembre, c‘est la foule. Les images d‘une foule bloquant le port et l’enthousiasme des gens présents, voilà ce qui reste de ce jour-là. Depuis 1946, personne n‘avait marché sous le mot d‘ordre de grève générale aux Etats-Unis, à la seule exception du 1er Mai 2006, où des millions de Latinos avaient fait grève et défilé en défense des droits des immigrés contre la loi HR4437.

De même, ne voir en la grève générale que le fruit d‘une tendance activiste au sein du mouvement, c‘est ne pas répondre a ces deux questions: pourquoi plus d‘un millier de personne ont voté cette grève? pourquoi plus de 25 000 personnes sont venues ce jour-là, dans un pays qui a oublié sa tradition de grève? Si quelques anarchistes avaient proposé de répondre à la destruction du camp en brûlant l’hôtel de ville, est-ce que 25 000 personnes se seraient présentées un cocktail Molotov à la main?

La grève générale représentait le désir d‘étendre le mouvement à la sphère de la production, c’est-à-dire au lieu de travail. Cette grève n‘a eu lieu qu‘en réponse à l‘éviction quasi-militaire du camp. Certains pourront prétendre que les gens n’ont exprimé qu’un ras-le-bol face à la mairie et la décision de détruire le camp, et qu’ils voulaient lancer un avertissement au maire. Mais dans ce cas-là, pourquoi parler de grève générale au lieu de faire une manifestation symbolique le samedi après-midi tel que cela s’est passé à New York après les arrestations massive du pont de Brooklyn? Il y a eu de nombreuses manifestations autour du meurtre d’Oscar Grant, mais personne n’a jamais parlé de grève générale. Car ce qui est important, c‘est que le 2 Novembre, tout le monde vient avec sa petite pancarte faite maison parlant de grève générale.

C‘est confronté à la police sous son véritable uniforme, celui de la discipline, que la population d‘Oakland, soutenant alors largement le mouvement, se retourna naturellement vers ce qui fait d‘elle un ensemble compact: le procès de travail. Et cette ensemble compact prend alors un nom: le prolétariat. Ce qu’il faut voir, le soir du 26 Octobre, lors du vote, c’est une généralisation, une contamination. Bien sûr, il faut aussi prendre en compte que pour certains, la grève générale n’était qu’un démonstration de force à l’intention des « 1% », avec l’espoir, mais un espoir non lié à des revendication précises, que la situation pourrait ensuite s’améliorer.

Mais la grève générale n‘a en même temps pas eu lieu, dans la mesure où presque personne n‘a fait grève, à la différence du 1er Mai 2006. Le moment où émergeait une possibilité de se reconnaître en tant que travailleur avec un pouvoir, cela devenait aussitôt un handicap; en d‘autres termes, le moment où se dessinait une appartenance de classe, elle n‘était produite que comme contrainte extérieure. Se reconnaître comme force de travail est un processus naturel lorsqu’une lutte qui se reconnaît avant tout comme politique et non économique arrive face à une de ses limites et se transforme. Mais la transformation de cette lutte en quelque chose d’autre, par le biais de la reconnaissance de chacun en tant que force de travail, n’a dans ce cas pas pu avoir lieu. La faillite de la grève générale fut donc le deuxième pas après le moment du vote, et le mouvement heurta un mur et prit fin peu de temps après. Face à cette limite, la lutte ne pouvait que mourir ou bien progresser en s‘auto-transformer et elle mourut. Le moment entre le vote et la journée de la grève générale fut donc le moment où un écart apparaissait au coeur de la lutte.

Un parallèle intéressant peut-être fait avec la situation européenne. En Grèce, l’occupation de la place Syntagma a réussi à pousser les syndicats à voter la grève générale pour 3 jours le 15, 28 et 29 juin 2011, lors du vote des mesures d’austérité au parlement. Là, les syndicats, toujours puissants, étaient complètement à la traîne du mouvement et ont tenté de se raccrocher à lui. En Grèce comme dans les autres pays d‘Europe, aucunes de nombreuses grève générales n‘a été capable d‘arrêter les mesures d‘austérité. Ce à quoi l‘on assiste de plus en plus, en Europe, c‘est à une perte de pouvoir complète de la grève générale (ou des grèves de masse dans le secteur publique) face au mesures d‘austérité. Dans le cas de l‘Angleterre, les grèves d‘une journée du secteur publique étaient de manière évidente perdue d‘avance et n‘ont servi aux syndicats qu‘à tenter de garder la face.

A Oakland, la grève générale prit une autre forme: elle fut le moment de généralisation du mouvement tout autant que son chant du cygne. Après le 2 Novembre, un camp plus large et plus confus fut reconstruit pour une dizaine de jours. L‘atmosphère et la radicalité du premier camp se perdirent et par la suite, plus aucune journée n‘eurent un écho équivalent à celle du 2 Novembre. Mais il faut alors replacer la Commune d‘Oakland dans son contexte: elle n‘était pas un mouvement contre un ensemble précis de mesures d‘austérités puisque l‘austérité aux Etats-Unis fut distribuée par les relations individuelles au capital (crédit, emplois,…), par les gouvernements de chaque état et par les mairies plus que par le gouvernement fédéral (le gouvernement fédéral étant au contraire celui qui est perçu comme ayant imposé la réforme de l’assurance-santé). A Oakland, la grève ne fut une résistance à l‘austérité, c’est-à-dire à la crise, que dans la mesures où celle-ci n’était alors vu qu‘au travers du prisme d‘une attaque particulière de la police.

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Dans le programmatisme, le monde était vu comme pouvant être retourné, remis d‘aplomb (du Manifeste jusqu‘à l‘opéraïsme italien). Cela n‘était possible que parce que le programmatisme n‘était concerné que par la distribution, la production étant pour lui un horizon invariant. L‘usine était une forteresse vide et le communisme ne pouvait être vu que comme la bonne répartition des marchandises au sein de la société. Cette perspective n‘a désormais plus d‘échos. La maigre perspective réformiste de pouvoir non retourner mais simplement gérer l‘économie a elle-même disparue avec le début de cette crise. C‘est à partir de cela que la seule première perspective qu‘offre ce monde est celle de blocage, et bloquer l‘économie prend ainsi dans beaucoup de luttes le dessus sur l‘idée de grève, en tant que fermeture ou occupation du lieu de travail par les seuls employés de cette usine. Parfois, les « grèves » ne sont même plus qu‘un nom sur des mouvements de blocages[21]Le mouvement contre la réforme des retraites de 2010 en France et la généralisation des piquets volants fut en ce sens un cas exemplaire. Pour une discussion concernant ce sujet, voir le texte de … Continue reading (d‘où la popularité d‘un concept tel que celui de « grève humaine »[22]L‘importance de l‘attrait pour l‘idée de « grève humaine » dans les discussions autour de la Commune d‘Oakland fait écho, d‘une certaine manière, au succès qu‘avait eu le terme … Continue reading ). Certains diront que c‘est par efficacité, d‘autres par ce qu‘ils sont de plus en plus exclus de la production, mais ce sont les deux facettes d‘une seule et même réponse. La défaite du vieux mouvement ouvrier et la destruction de ses anciennes victoires, la concentration de la circulation des marchandises à de certains points, l‘augmentation absolue dans le volume de valeurs manipulées par travailleur et l‘augmentation absolue dans l‘investissement en capital fixe par travailleur, le boom de l‘économie payée par du revenu et non du capital (appelée « secteur des services » à tort[23]On ne peut parler de « services » que si on les défini comme production immatérielle, ce qui ne veut rien dire. Il n‘y a que trois secteurs dans l‘économie: celui pour la production des … Continue reading ) et la montée du chômage sont toutes les caractéristiques d‘un seul et même moment: celui de la restructuration.

A partir des années 70, la restructuration fut amorcée par une crise de la valorisation qui ne pouvait être dépassée que par une recentralisation en faveur de la croissance du revenu et le démembrement du vieux procès de production en faveur de la circulation, celle-ci augmentant le taux de profit. Comme le souligne Bloquer le port n’est que le premier de nombreux derbiers recours: « l‘invention du transport de containers et du bateau a containers est analogue, de cette manière, a la réinvention des échanges de produits dérivés dans les années 70 ». C‘est ainsi que la circulation se retrouva au centre de tous les développements techniques et se retrouve maintenant au coeur des attaques de nombreuses luttes.

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Le désastre de la lutte de Longview doit être mis en parallèle avec la grève générale, dans la mesure où il fut le seul autre moment de la lutte s’attaquant à la sphère du travail.

A Longview (état de Washington), l‘entreprise EGT fit construire un nouveau terminal dans le port et signa des contrats de travail sans passer par le syndicat ILWU et donc avec des conditions de travail bien inférieures à celle du reste du port, à l‘encontre des obligations qui tiennent le port de Longview et l‘ILWU. Il ne s‘agissait en tout que de moins de 50 employés, mais cela avait pour but de créer un précédent afin de briser la mainmise des syndicat sur les ports de la côte Ouest et d‘y libéraliser le marché du travail. Un conflit s‘installe alors à partir du mois de Juillet 2011 entre le syndicat et l‘entreprise. A Oakland, après la réussite de la mobilisation pour la grève générale, une journée d‘action est décidée pour le 12 Décembre, en partie en soutien avec cette lutte. La journée d‘action a pour but de fermer une deuxième fois le port, ainsi que tous ceux de la côte Ouest. Bien que la participation est largement moindre que pour le 2 Novembre, descendant de 25 000 à 5 000 personnes, le port est fermé, comme ceux de Seattle, Portland et Longview. Une caravane est ensuite organisée dans les semaines suivantes pour aller bloquer l‘arrivée du premier bateau dans le terminal. Le bateau se retrouve escorté par l‘armée, les militants venus soutenir la lutte sont pris à partie par la hiérarchie de l‘ILWU et celle-ci signe des contrats avec EGT et dans le dos de la base, contrats très largement en-dessous des accords en vigueur dans le port.

Plus de 3 semaines après la destruction du dernier camp, la journée d‘action du 12 Décembre était une tentative de garder l’énergie du mouvement tout en liant celui-ci à une lutte sur les conditions de travail. Malgré cela, la journée d’action ne tentait qu’une répétition du 2 Novembre, en essayant d’intégrer plus les travailleurs du ports. D‘une certaine manière, cette journée d‘action était la reconnaissance de la limite centrale du mouvement: ne pas pouvoir attaquer la sphère de la production et du travail. Mais, comme le montre Bloquer le port… (écrit en prévision de cette journée), la journée d‘action du 12 Décembre portait aussi le risque d‘un glissement visant à transformer le mouvement en canalisant l‘énergie qui avait été créé sur les épaules du bon vieil ouvrier productif en lutte contre son propre capitaliste et, de plus, en institutionnalisant le blocage du port comme seule forme d’action possible. Le net déclin de participation entre les deux jours montra l‘impossibilité de reconstruire ce mouvement autour de l‘axe d‘un « travailleur productif » tout autant que le fait que le mouvement avait perdu son momentum. La plupart des travailleurs du port ne joignirent pas le piquet et rentrèrent chez eux (au contraire du 2 Novembre). La défaite complète de ceux qui partirent à Longview défendre la base du syndicat prouva l‘impossibilité de vouloir calquer de vieux modèles de lutte sur des temps définitivement autres. Mais, malgré tout, le 12 Décembre, s’il marqua clairement une fin au mouvement, fut remarquable dans le sens qu’il permit une fois encore le blocage complet du port et donc la disruption de nombreuses chaînes économique, sans qu’il n’y ait beaucoup d’arrestations, la police et la mairie ne sachant comment réagir.

La noblesse d‘âme de la base de l‘ILWU n‘est pas à remettre en cause, ni même la justification de leur lutte. Ce qu‘il faut comprendre, c‘est comment un mouvement, dont la limite définitoire était la production et le travail, en tentant de simplement se recentrer sur ce qui est vu alors comme un manque et non une limite, se transforme alors en militantisme aveugle aliénant une bonne partie de ceux qui en faisaient partie. Tenter de pousser une lutte jusqu‘à ce qu‘elle produise d‘elle-même un dépassement de ses propres limites, c‘est tendre vers la généralisation; vouloir combler un manque, c‘est retourner à la position obsolète de l‘avant-garde. Car au fond, la question reste toujours en suspens: comment des gens qui sont avant tout venus place Oscar Grant pour ce qu‘ils avaient perdu -ou encore plus perdu- au milieu de la crise (logement, travail, santé, nourriture, etc.) auraient-ils pu se reconnaitre dans une lutte traditionnelle (bien que liée au contexte de la crise) sur les conditions de travail d‘employés vivant à 900 kms de là?

Une fois confrontés à l’impossibilité d’unir le mouvement Occupy et une lutte sur les conditions de travail classique, la lutte de Longview se termina en luttes internes acerbes entre les deux camps (bien que certains membres du syndicat continuent toujours de rester en opposition avec leur hiérarchie). Même si les luttes sur le salaire ou sur les conditions de travail continuent à être une part importante des luttes mondiales, souvent ces luttes sont des luttes à cause perdue, tout au moins dans la plupart du monde Occidental. En effet, la raison pour laquelle la bureaucratie du syndicat accepta les nouvelles conditions de travail est simplement par ce qu‘elle savait qu‘il était impossible d‘obtenir plus, par ce qu‘elle savait que l‘implantation d‘EGT est le début d‘une suite d‘attaques sur les conditions de travail dans les ports dans les années à venir qui se soldera irrémédiablement par un recul massif des syndicats.

Les luttes sur le salaire, dans des moments tels que celui-ci, montrent leur incapacité structurelle à pouvoir maintenant franchir le pas qui sépare une lutte particulière de la généralité. La question n‘est pas alors de blâmer une lutte sur le salaire de n‘être que ce qu‘elle est, mais de comprendre comment une lutte qui tend à la généralité se retrouve à s‘enfermer dans le désespoir de la particularité.

Retrait de la production? La maison hantée et ses glorieux locataires.

La question soulevée par le blocage des ports du 12 Décembre est en lien direct avec beaucoup d‘autres luttes et la manière dont sont perçues les limites de ces luttes. Pour Décembre 2008 en Grèce, comme pour les émeutes anglaises d‘Août 2011, la question du travail productif apparait comme un aspect central dans certaines des analyses. La dichotomie est toujours la même: pour une partie de ces analyses, le travail productif est égal au travailleur productif, ainsi, ce type de luttes ne pourrait s‘étendre que s‘il se transformait en englobant les « travailleurs productifs » et en les remettant à leurs fauteuils de première classe. En opposition à cela, l‘argumentation autonomiste reste de tenter de prouver que tout est productif de plus-value et que, par conséquent, chacun est travailleur productif. Définir ce qu‘est le travail productif, c‘est définir ce qu‘il est pour le capital. Il s‘agit d‘une question importante dans la mesure où elle permet de comprendre la dynamique du capital, mais ce n‘est aucunement une question qui permet de comprendre qui aura un rôle à jouer plus central qu‘un autre.

Production, circulation et reproduction sont trois moments de la même totalité, du même procès dans lequel la production est le « moment prédominant », par ce que c‘est le « point réel de départ ». On pourrait écrire sur la circulation et la reproduction exactement ce que Marx écrit sur la distribution: « La distribution est elle-même un produit de la production non seulement en ce qui concerne l’objet, le résultat de la production seul pouvant être distribué, mais aussi en ce qui concerne la forme, le mode précis de participation à la production déterminant les formes particulières de la distribution, c’est-à-dire déterminant sous quelle forme le producteur participera à la distribution. »[24]Introduction à la critique de l‘économie politique, 1857, in Contribution à la critique de l‘économie politique, Ed. Sociales, p.161.

Nous somme entièrement d‘accord avec Théorie Communiste quand ils écrivent que « si la lutte de classe demeure un mouvement au niveau de la reproduction elle n’aura pas intégré en elle même sa propre raison d’être, la production. C’est là actuellement la limite récurrente de toutes les émeutes et « insurrections », ce qui événementiellement les fait définir comme « minoritaires ». La révolution devra investir la production pour l’abolir en tant que moment particulier des rapports entre les hommes et abolir par là même le travail dans l’abolition du travail salarié. » Mais quand ils ajoutent que « c’est là le rôle déterminant du travail productif et de ceux qui à un moment donné sont les porteurs directs de sa contradiction, parce qu’ils la vivent dans leur existence pour le capital à la fois nécessaire et superflue. Ils possèdent objectivement la capacité de faire de cette attaque une contradiction pour le capital lui-même, de retourner la contradiction qu’est l’exploitation contre elle-même et contre eux-mêmes. Le chemin de l’abolition de l’exploitation passe par l’exploitation elle-même; comme le capital, la révolution est encore, elle aussi, un processus objectif. »[25]Le moment actuel, SIC 1, p.138 c‘est là que nos routes divergent. Le travail productif est une catégorie au niveau de la reproduction du capital, non une division de classe.

Il y avait un sujet actif dans le programmatisme, la classe ouvrière, qui n‘était pas égal au prolétariat, parce que celui-là avait la production comme seul horizon et la distribution comme seul sphère d‘attaque. C‘est par là que la notion de travail productif (et donc de travailleur productif) a été le cheval de Troie du programmatisme. Depuis la fin de cette époque, certains tentent vainement de prouver que tout travail (y compris le « travail reproductif ») est « productif », d‘autres persistent a vouloir calquer un vieux modèle et cherchent en vain ou pourrait bien se cacher le nouvel ouvrier productif qui pourrait faire office de sujet révolutionnaire, tandis que d‘autres veulent se débarrasser de ces catégories car ils n‘y voient qu‘une catégorie morale. Retourner à Marx nous permet de comprendre ce qu’est véritablement le travail productif en tant que catégorie et non en tant que classe ou jugement moral. S’attaquer à cette question n’est pas lancer un débat théorique sur la sexualité des anges, c’est vouloir liquider pratiquement les catégories dans la théorie communiste qui ne peuvent pas voir au-delà d’un horizon mort : celui du programmatisme.

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À Partir De Marx, nous pouvons dire qu’est productif tout travail qui est payé avec du capital (ce qui implique donc la travail salarié, la plus-value et la transformation de plus-value en capital additionnel). Ce n’est pas un hasard si dans le Chapitre VI (ou Chapitre inédit), la section sur le travail productif et improductif suit la section sur la sumbsomption. Nous pouvons donc aller jusqu’à dire qu’est productif tout travail qui est subsumé réellement par le capital. Ainsi à l’heure actuelle, nous pouvons affirmer que la plupart des travaux réalisés par la force de travail globale sont productifs. Mais ils ne le sont que dans la mesure du capital particulier.

Un travail individuel est productif à partir du moment où il remplit les trois condition (salariat, plus-value, capital additionnel), c’est à dire les trois moments du procès de production immédiat (vente et achat de la force de travail, surtravail, accumulation). Mais il ne l’est qu’au niveau du capital individuel. « En tant qu’il produit de la valeur, le travail reste donc toujours travail de l’individu qui n’est exprimé qu’en général. Le travail productif -en tant que travail produisant de la valeur- fait donc toujours face au capital comme travailleur de la puissance de travail individuelle, du travailleur isolé en quelques combinaisons sociales qu’entrent ces travailleurs au cours du procès de production. Ainsi, tandis que le capital représente, face au travailleur, la force productive social du travail, le travail productif du travailleur ne représente jamais, face au capital, que le travail du travailleur isolé. »[26]Théories sur la plus-value, livre I, ed. Sociales, p.461

Ce qui a manqué à Marx, c’est d’unir la théorie du travail productif et improductif (qui n’a été pleinement élaboré que dans les cahiers des Théories sur la plus-value et le Chapitre VI) avec la théorie des schémas de la reproduction du capital basés sur la division du capital total social en trois sections, développée dans la troisième section du Livre II.

Au niveau du capital social total, un travail n’est productif qu’en fonction de la section dans lequel il est réalisé. Ainsi il peut y avoir des travaux productifs dans un secteur improductif et des travaux improductifs dans des secteurs productifs. Il s’agit là de deux dynamiques qui n’ont rien à voir.

Un travailleur du secteur de la consommation de luxe peut être productif pour le capital individuel que représente son patron, il ne ne l’est pas pour le capital social total par ce que la plus-value qu’il produit ne sera réalisée que quand la marchandise qu’il a produite aura été achetée, et cet achat ne peut se faire qu’à partir des profits d’une autre section. La plus-value qu’il produit pour le capital individuel qu’est son parton n’est réalisée que par la consommation d’une partie de la plus-value du capital social total (en utilisant le revenu, le capitaliste « dépense ce faisant les fruits de son capital »[27]Marx, Grundrisse, editions Sociales GEME, p.429  » L’argent que A échange contre le travail vivant -service payé en nature ou service qui s’objective en une chose- n’est pas du … Continue reading. Cette plus-value que le capital individuel réalise sera divisée en capital additionnel et consommation. Au niveau du capital social total, cette plus-value n’a pas disparue, elle est venue s’entasser dans un secteur improductif. Il n’y a pas de possibilité d’accumulation à partir d‘un secteur improductif, quelque soit la productivité du travail qu’il comprend.

Pour le capital individuel, il y a une subsomption du travailleur productif, pour le capital social total, une distinction. Le travail productif ne peut donc être compris qu’au niveau du capital social total. Il ne correspond qu’à un secteur qui ne peut même pas être délimité à certaines marchandises: le même écran plat vendu à un prolétaire ayant économisé pendant des mois et à un capitaliste est dans le premier cas payé par le salaire, dans le deuxième cas, payé par le revenu. Il contient donc du travail productif dans le premier cas, improductif dans le second. La marchandise produite n’a donc aucune importance (« En fait, ce travailleur « productif » est tout aussi interessé par la merde qu’il est obligé de faire que le capitaliste qui l’emploie et qui se fout éperdument de cette camelote. »[28]ibid. p.237 ). Le travail non plus car, comme nous l’avons vu, un travailleur est maintenant toujours productif pour son capitaliste particulier. L’expérience faite du travail est donc la même, l’exploitation du « travailleur productif » étant la même que toute autre.

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La tentative d’identifier travail productif et secteur productif n’est pas une simple mauvaise compréhension des catégories marxistes, elle est le talon d’Achille du programmatisme. Marx lui-même ne peut aller au-delà de son époque et fait un pas en arrière à la fin de la section sur le travail productif et improductif dans les Théories sur la plus-value. Ainsi, il se met à revenir sur ce qu’il a avancé précédemment et veut identifier travail productif et production matérielle[29]Théories sur la plus-value, livre I, ed. Sociales, , p.479. Il est évident que production matérielle ne peut aucunement être une catégorie valable (« le travail productif est une détermination qui, en soi, n‘a absolument rien à voir avec le contenu déterminé du travail, avec son utilité particulière ou la valeur d‘usage caractéristique dans laquelle il se présente »[30]Le chapitre VI, ed. Sociales GEME, p.219-220 ). Le mode de production capitaliste est production de marchandises, matérielles ou non et on ne peut aucunement diviser les secteurs de la production en production matérielle et immatérielle. Cette pirouette de dernière minute peu convaincante n‘est que la preuve que dans le programmatisme, le travail productif ne pouvait jamais être compris en tant que catégorie, mais toujours sous un aspect moral.

Marx ne pouvait pas ne pas être programmatiste. Cette ère est révolue et on ne peut comprendre le travail productif maintenant qu‘en tant que catégorie s’appliquant à un secteur. Si ces débats sont revenus autour de la Commune d’Oakland (comme ils sont revenus après les émeutes grecques en 2008), c’est parce qu’ils sont assimilés à la question de la circulation, ou à celle d’un « secteur tertiaire ». Comme nous l’avons vu, la circulation n’a rien à voir avec la catégorie de « productif » ou « improductif ». Quant au « secteur tertiaire », il n’existe que dans les rêves nocturnes des journalistes du Financial Times.

Nous ne pouvons faire ce pas qui consiste à dire que tout prolétaire est travailleur productif ou bien que cela n‘importe pas. Non par ce que cela est faux (cela n’importerait pas), mais par ce que poser le problème ainsi, c’est le faire pour des raisons politiques. Et ces raisons politiques cachent alors ce qui est véritablement en jeu: la compréhension de ce qu’est le capital. Car ce n’est qu’à partir de notre compréhension du capital que se dessine, en négatif, notre approche du communisme. Une analyse qui ne s‘attaque pas au travail productif en tant que catégorie au niveau de la reproduction totale du capital ne peut envisager l’abolition de l‘économie.

Alliance de classes, identité et pourcentages

Pendant plus de deux mois, la Commune d‘Oakland a du faire face à la totalité de la reproduction du prolétariat, avec toutes les différences qui en font un sujet intenable. Qu‘est-ce que cela veut dire faire partie du prolétariat à Oakland? Cela peut vouloir dire être une employée du port qui a vu son niveau social descendre d‘une confortable classe-moyenne[31]Le terme ambigu de « classe-moyennes » est ici employé par faute de mieux. S’il est incontestable qu’une bonne partie des « classes moyennes » américaines sont composés d’ouvriers … Continue reading de l‘époque fordiste à une habitante de banlieue prolétarianisée qui sait qu‘elle ne sera jamais à même de finir les payements de la vie qu‘elle a déjà acheté à crédit. Cela peut vouloir dire être un employé d‘école qui sait que son poste n‘existera plus dans 6 mois et qui n‘a aucune idée d‘où il se retrouvera sur le marché du travail. Mais la plupart du temps, cela veut juste dire grandir comme surpopulation, comme absolument dépossédé, et n‘avoir pour seul horizon de survie que l‘économie du crack ou de la méthamphétamine, la prostitution ou l‘industrie du porno. Et dans ce cas-là, cela veut aussi dire être la cible mouvante du premier connard en uniforme. Dans tous les cas, faire partie du prolétariat veut dire être dans l‘impossibilité de s‘identifier à la moindre identité, mis à part celle d‘un sans-avenir. Ce qui a donc poussé les gens à se rendre Place Oscar Grant n‘était pas l‘idée d‘une identité commune, mais celle d‘un manque commun. C‘est seulement à partir de cette base que les gens se sont organisés.[32]Le Tumblr « wearethe99percent » donne une idée assez précise de ce qu‘ont en commun ceux qui pensaient se rallier au mouvement des occupations et avaient au moins toujours une connexion à … Continue reading

Cette base se situait dans la sphère publique, le mouvement étant constitué autour d‘un camp, situé en centre-ville sur la place principale. Mais ce à quoi l‘on assistait alors, c‘était à une contamination de la sphère publique par la sphère privée. Les raisons qui ont poussé chacun à venir au camp furent des raisons individuelles partagées par tous, des applications personnelles d‘une misère générale.

Il est important de souligner que le mouvement Occupy aux Etats-Unis n‘est jamais véritablement sorti des places malgré les efforts notables et louables de tentatives telles que « Occupy the Hood ». Considérées comme un lieu neutre, les places avaient à la fois l‘aspect de la reconquête d‘un espace publique (appartenant souvent à des entreprises, comme l‘ont montré les complication légales autour du parc Zuccotti à New York), tout en en faisant un espace privé ou chacun amène sa tente et expose son existence. La comparaison, souvent faite, avec une église protestante baptiste, n‘est pas dénuée de sens: ce dont il s‘agit, c‘est de se sentir renaître en se reconnaissant une nouvelle appartenance, de mettre a nu ses difficultés et ses sentiments, de les rendre publique. Le microphone humain en tant que forme de relations de lutte exprime cela au mieux. Développé uniquement pour contrer l‘interdiction d‘utiliser un équipement sonore parc Zuccotti, il se révéla être la seule forme dans laquelle le mouvement se reconnaissait, sa marque distinctive, en ce qu‘il servait avant tout à exprimer le partage publique d‘une souffrance privée.

Délimité à cet espace, à cette « commune », le mouvement ne pouvait adresser ni la sphère publique, ni la sphère privée. Pour adresser la sphère publique, il aurait fallu qu‘il puisse aussi adresser le travail, la production. Pour adresser la sphère privée, il aurait fallu qu‘il puisse abattre les murs de Jéricho qui l‘entouraient, qu‘il puisse attaquer quartier après quartier, et adresser là les causes qui déterminent, qui construisent la sphère privée. Pour autant, il faut noter cette contamination de la sphère publique par la sphère privée comme un trait commun des divers mouvements d’occupation de place. Le changement qui a lieu lors de la restructuration, changement renforcé par la crise, est que, au contraire du programmatisme où toute lutte ne se situait que dans la sphère publique, la sphère privée n’est plus une forteresse imprenable.

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La composition de classes du mouvement fut un facteur clé dans sa constitution par rapport aux autres mouvements Occupy. Dans une ville comme Santa Cruz qui compte une énorme population de sans-abris (principalement vétérans des dernières guerres), et une population générale principalement composée de classes-moyennes libérales (l‘université de Santa Cruz est le principal moteur économique de la ville et le prix de l‘immobilier fait partie des plus hauts du pays), le camp n‘a pas pu avoir la même cohésion qu‘ailleurs par manque de strates moyennes. Au final, il est rapidement devenu un camp de sans-abri avec des discussions organisées par et pour des classes moyennes libérales. Lorsqu‘une occupation de banque par des radicaux a lieu littéralement de l‘autre côté de la rivière (soit une séparation de 5 minutes à pied et une vue complète de l‘un vers l‘autre) et que le lieu est repris en main par la police, certains, présents a l‘occupation, vont demander du soutien au camp. Un ami raconte qu‘essayant de convaincre un sans-abri qu‘il est dans l‘intérêt du camp de venir défendre l‘occupation, celui-ci pointe le doigt vers le drapeau américain planté devant sa tente et lui répond: « T‘as vu ça? Est-ce que c‘est écrit « Occupy » dessus? »

Ce contre-exemple n‘est là que pour pointer vers une règle: la cohésion physique du mouvement (tout autant que ses limites) fut due à la variété de classes présente. Comme nous l’avons vu, la situation géographique de la place Oscar Grant, située à 500m de la frontière entre le centre-ville et West Oakland, joua un rôle central. Par comparaison, le parc Zuccotti, à New York, est situé à 25km du Bronx, ce qui explique la différence de composition entre les deux mouvements, beaucoup de gens ne pouvant se rendre à Zuccotti ou ressentaient qu’ils n’avaient rien à faire dans cette partie de la ville. La faiblesse de beaucoup de ces occupations de places tendait vers un sentiment de non-unification, par manques de strates moyennes. Vues d’un oeil cynique, on peut dire que dans certaines villes, ne campent que ceux qui y sont condamnés et ceux qui peuvent se le permettre.[33]Il ne faut pas oublier que des camps remplis de tentes sont un élément banal du décor américain. Depuis 2009, le développement des Tent Cities, villes sans-abris bâtis à l‘intérieur ou dans … Continue reading Dans ces cas, le moment de délitement est toujours celui où les couches les plus élevées s’en vont, par dégoût pour la proximité avec les couches les plus basses. Ce dégoût était présent à New York, majoritaire à Santa Cruz, mais, mis à part des querelles individuelles, n’a jamais pris corps à Oakland. A cela s’ajoute le fait qu’une grande partie des strates moyennes présentes au camp avait en général des liens soit avec les emplois de la ville et du port, soit avec les non-profits[34]Les « non-profits » ne sont pas l‘équivalent des associations charitables françaises. Il s‘agit de sociétés économiques qui peuvent réaliser des profits mais qui sont censées en … Continue reading, soit avec les milieux « radicaux » et ainsi ne pouvaient pas être vues comme des classes renfermées sur elle-même et leurs rêves de suburbia.

La seule forme de conflit entre les classes-moyennes et les couches les plus basses apparut après le 2 Novembre, dans les débats continus sur la question violence/non-violence. Beaucoup de personnes issues classes-moyennes essayèrent de prendre le dessus au sein des AG, forçant des vote contre toute forme d’action violente, mais ne prenant pas part au camp. Malgré cela, et même s’il était clair qu’au sein des AG les débats sur la non-violence étaient presque toujours le fait des classes-moyennes, lors de journées d’action, les attaques physiques contre ceux détruisant les vitrines furent le fait de gens de toutes classes et beaucoup de Noirs pauvres y prirent part, défendant « leurs villes ».

Malgré tout, il faut signaler la participation numériquement inférieure de la population Latino au camp par rapport à la population Noire, de même que la participation numériquement inférieure de la population d’East Oakland par rapport à West Oakland. Les raisons qui expliquent cela sont la distance qui sépare East Oakland, où la majorité de la population Latino vit, du centre-ville, son absolu isolement du point de vue des transports, ainsi que la guerre que se livre les gangs Latinos qui rend beaucoup de personnes incapable de quitter le territoire du gang sans risquer de se faire tuer. L’organisation, à partir d’Avril, de barbecue le week-end dans différents quartiers fut une manière remarquable d’affronter ces problèmes et, même si le mouvement n’existait alors plus, le succès de cette démarche montra la richesse des possibilités d’organisation au niveau local.

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La composition de classe de ce mouvement nous amène à la question de l’unification. Celle-ci est reliée au seul slogan qui peut ressortir des occupations américaines (un slogan qui a parfois pu prétendre être une demande, mais qui ne peut être rien de plus qu‘un château de sable), celui du « we are the 99% ». Le mouvement des occupations était une lutte interclassiste, certes, dans la mesure ou une partie non négligeable était composée de diverses classes-moyennes pétrifiées par leur avenir. Mais le slogan reflète l‘idéalisme qui animait une partie cette foule: celui d‘une lutte transclassiste, d‘une lutte ou toutes les classes se fonderaient ensemble sous un commun étendard, tout en restant ce qu‘elles sont, avec leurs particularités de classe intactes. Le dégoût qui s‘est installé rapidement dans les classes moyennes libérales envers la présence de sans-abris dans la plupart des camps est la plus basique preuve que ce slogan n‘était qu‘une identité fantasmée, cette identité étant complètement intenable per se. De plus, le revers de la médaille du slogan des 99%, c‘est la police, et la question récurrente (et absolument idiote) « Les flics font-ils partie des 99%? » fut peut-être le plus sobre aveu d‘impuissance du mouvement des occupations aux Etats-Unis. Ce n‘est que parce qu‘il pouvait y avoir cette unité fantasmée du « 99% », que cette unité peut s‘étendre jusqu‘au seul bourreau qui fait face.

La généralisation s’oppose pour nous à l’unification. L’unification impose la subsomption de tous sous une unité. Dans la généralisation, les particularités sont intactes mais se retrouvent liées entre elles organiquement. L’unification ne pouvait fonctionner que sous le programmatisme -puisqu’il y avait subsomption de tous sous un sujet unique: le travailleur blanc-; la généralisation est le seul horizon communiste du moment actuel. Mais il faut alors comprendre cette généralisation aussi comme la généralisation des conflits à l’intérieur de la lutte, ces conflits poussant la lutte à s’auto-transformer.

Si le slogan des « 99% » a en lui une richesse, c’est celle d‘une unification et non celle d‘une généralisation. Mais au-delà des nombreuses critiques que les milieux radicaux ont pu formuler, il faut chercher à comprendre pourquoi, dans un pays ou personne ne parlait plus de classes, un tel slogan a pu réunir des couches si diverses, et pourquoi la question était avant tout de mettre en avant son appartenance au « 99% » (cela devenait, comme dans une église baptiste, une fonction purement performative). La crise, comme toute crise, apporte avec elle une possibilité de généralisation tout autant qu‘une possibilité de redivisionnement. Le premier aspect est celui d‘un moment révolutionnaire; le deuxième aspect, c‘est la contre-révolution, ces deux aspects étant produits conjointement par le déroulement des luttes. Une généralisation n‘est possible que lorsque les sous-classes constituant le prolétariat attaquent le mode de production; c‘est alors que leurs identités de classes s‘effondrent et qu‘elles deviennent la classe, le parti historique. Le corps du prolétariat entre alors dans un moment de précipitation chimique, il devient un corps plus solide que le milieu où il a pris naissance. Ce processus de précipitation, c’est l’appartenance de classe. Mais cette appartenance de classe est alors déjà un handicap, un obstacle, une contrainte extérieure, qui une fois accepté, se révèle n‘être qu‘un encombrement dont on ne sait quoi faire. Le slogan des « 99% », particulièrement dans le contexte américain, est un slogan d’appartenance de classe (faible, certes, mais un slogan d’appartenance de classe tout de même). Et c‘est en cela qu‘il aussi handicapant. Dans la lutte interne de ce devenir classe, le mouvement de la communisation sera la tendance qui, une fois l‘appartenance de classe posée comme contrainte extérieure, tendra vers l’abolition de cette classe (et par là de toutes les classes). Mais, avant cela, la question de la généralisation, non comme appauvrissement ou compromis, mais comme radicalisation, sera la question principale. Cette généralisation sera un moment de rupture qui mettra en marche les masses. A ses plus beaux moments, il y avait un aperçu de cela dans la Commune d‘Oakland.

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Un autre aspect de cette tendance interne du mouvement à se reconnaître sous une identité intenable est la présence du drapeau national. Aux Etats-Unis, la question du patriotisme n‘a pas eu la même résonance que dans l‘occupation de la place Syntagma a Athènes. Des camarades souligne quatre raisons expliquant la présence des drapeaux grecs dans le mouvement des Indignados: la structure sociale du mouvement et les liens entre la lutte de classe et l‘anti-impérialisme en Grèce, la perception des mesures d‘austérité comme imposées par « l‘étranger », la maigre place de la Grèce dans la hiérarchie des nations capitalistes, la crise migratoire en Grèce[35]Le mouvement des « Indignados » en Grèce, Rocamadour, SIC 1. Mais aucunes de ces raisons ne peuvent expliquer la présence des drapeaux américains dans le mouvement Occupy (pas même la structure sociale, ce n‘est pas forcément la petite-bourgeoisie qui portait des drapeaux, mais bien souvent les plus déshérités -vétérans sans avenir sur le marché du travail-). De même que la référence constante aux premiers amendements de la constitution américaine, c‘est dans l‘idée d‘une société civile non séparée de la politique que prennent place ces drapeaux. Cette idée ne peut prendre place qu‘à partir du moment où la lutte ne s‘attaque ni à la sphère publique, ni à la sphère privée.

Dans cette mesure, toute tentative d‘attaquer la sphère privée et la sphère publique était une tentative de dépasser les limites de la lutte. D‘une certaine manière, s‘organiser en tant que travailleur précaire ou en tant que femme ou queer étaient les deux facettes d‘une même attaque. Mais la question à laquelle il faut alors répondre, c‘est pourquoi femmes et queers se sont organisés en tant que tels et pas les travailleurs précaires?[36]Les tentatives d‘organisation en tant que précaires n‘ont eu lieu qu‘une fois que le mouvement avait perdu tout souffle et avait perdu espoir de pouvoir reconquérir un espace; de plus elles … Continue reading

D‘un cycle de lutte à l‘autre, d‘une contre-révolution à l‘autre

Le cycle de lutte de l‘anti-mondialisation, reposait sur l‘idée de l‘alternative. Derrière le slogan « un autre monde est possible », se cachait l‘idée d‘une société redéfinie selon ses propres besoins, d‘un dépassement magique du capitalisme qui ne placerait plus l‘économie au centre des rapports mais l‘être humain. Le mouvement des occupations de places (printemps arabe, Indignados puis Occupy) a montré, si besoin était, que cette alternative n‘est plus d‘actualité. Si l‘on prend le mouvement Occupy, la caractéristiques principale c‘est l‘absence de revendication, non par volonté, mais par impossibilité. Mais quand on regarde ces revendications de plus près (car derrière cette absence, il faut voir une multitude incontrôlable de revendications individuelles -chacun venant avant sa pancarte faite maison-), ce que l‘on y voit, c‘est un réformisme flambant neuf (mais irrécupérable politiquement). Abolir la Fed, interdire la spéculation, faire payer les banques, chacun y va de sa petite idée de gestion et tout cela se mélange au milieu des ateliers de yoga, des concerts interminables de djembé, des hurlements d‘un sans-abri prétendant qu‘il est un agent du FBI et de l‘odeur d‘encens. La caractéristique du moment actuel, c‘est l‘impossibilité de la moindre réforme. Dans un tel contexte l‘avalanche de propositions réformistes qui fait office de pain quotidien de tous ces camps ne doit être vu que dans son ensemble, c’est-à-dire dans le fait qu‘aucun slogan n‘ait réussi à émerger.

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A Oakland, une bonne partie des tendances réactionnaires à l‘intérieur du mouvement fut le fait des non-profits, qui, par leur influence sur les populations noires ou Latinos, étaient à la fois un des piliers du mouvement, mais en même temps un de ses freins principaux. Ces non-profits ont posé la question de l’héritage, du transfert du radicalisme d’une génération à l’autre. Certains membres des non-profits prétendent que la Commune d’Oakland n’a été possible que par ce que les non-profits avaient, pendant des années, continué le passage d’un conscience radicale et d’une pratique de lutte au sein des structures locales, une fois que les mouvements des années 70 s’étaient effondrés. Cela est probablement un facteur; mais alors se pose la question de la rupture. Si les non-profits ont pu faire passer une forme de tradition de radicalisme lorsque plus rien n’existait (une tradition pourtant bien maigre et discutable au vu des compromis faits avec l’administration), leur rôle pendant la Commune d’Oakland était celui d’essayer de contenir le mouvement. Le premier rôle des non-profits fut d’installer le débat violence/non-violence comme un élément central après la grève générale. Mais si certains ont pu voir une bataille entre les « radicaux » et les non-profits sur la question du droit de légitimité sur le mouvement, la réponse importe peu. Ce qui importe c’est que, majoritairement, c’étaient les mesures proposées par les « radicaux » (non-compromission avec la police, manifestation non déclarées, gréve générale, occupation de bâtiments, question du genre,…) et non celles proposées par les non-profits qui étaient celles choisies par le mouvement.

Mais les non-profits ont aussi posé une question cruciale: celle de la légitimité. On ne peut pas penser un mouvement aux Etats-Unis sans aborder la question de l’origine ethnique et du fonctionnement particulier du capital aux Etats-Unis dans lequel sa reproduction se retrouve toujours racialisée et où le racisme repose sur l’urbanisme, des accords trans-classes ainsi que sur le rôle et la nature de la répression étatique quotidienne, et non la simple volonté d’une minorité raciste qui serait au pouvoir. A chaque fois que les non-profits tentaient de ramener l‘ordre, elles brandissaient l‘étendard du « suivez ces petits blancs et vous finirez en prison! » et le fait que cette question ait trouvé un écho récurrent dans les débats montre qu’elle est centrale. Même si les membres des non-profits ne sont pas tous issus des minorités ethniques, ils y sont respectés. Ce qui n’est pas toujours le cas des « radicaux », qui, pour la plupart, se sont installé à Oakland par choix dans les dernières années. Il est certain qu’une personne noire ou Latino ayant grandi dans le ghetto n’a aucunement les mêmes chances qu’une personne blanche lorsqu’elle se retrouve face à un juge, particulièrement pour des actes considérés comme politiques. Pendant le mouvement, un nivellement des peines en fonction de la couleur de peau étaient plus qu’évident. A cela s’ajoute le fait que grandir dans le ghetto veut aussi souvent dire porter derrière soi un casier judiciaire, des peines de prisons passées ou bien du sursis. L’OPD passe en effet son temps à viser tout Noirs et Latinos dans les quartiers pauvres et les tribunaux s’apparentent à de l’abattage en masse; se retrouver pour plusieurs années en prison sous le prétexte qu’un flic a décidé que vous correspondiez à un avis de recherche décrivant un « jeune homme grand et noir » est plus que commun. Cela est particulièrement important dans le contexte californien ou trois « felonies » (classification des crimes la plus élevée dans laquelle se retrouvent aussi des choses somme toute assez banales du point de vue du droit européen) équivalent à une peine de prison à vie.

La question des risques et de la légitimité fut donc centrale dans les débats pendant le mouvement, sans même parler de la question de pouvoir intégrer dans le mouvement des immigrés sans-papiers. Ce qu’il importe de souligner, c’est que, bien qu’il y ait une part de vérité dans cela, place Oscar Grant, les conflits ethniques furent très rares[37]Malgré cela, une question peut-être posée: pourquoi le mouvement ne réussit pas à intégrer la population d‘origine chinoise alors que Chinatown est à 200 mètres de la place?, et que les radicaux trouvèrent beaucoup de soutien chez ceux issus du ghetto.

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Dans la mesure où ces deux cycles de lutte appartiennent à la même période, on peut penser que les limites présentes dans cette lutte sont des limites qui étaient déjà inhérentes à la période de l‘anti-mondialisation (centralité de la reproduction, impossibilité d‘une affirmation de classe, etc.). Pourtant, le changement clé entre ces deux cycles de lutte est l‘abandon de l‘idée d‘alternative. Le slogan « Un autre monde est possible » sonnerait aujourd‘hui aussi fané que « Bring the war home! » et il est notable qu‘aucun des slogans de l‘anti-mondialisation se retrouvait dans la commune d‘Oakland alors que les références aux Blacks Panthers étaient constamment présentes.[38]« Power to the people! », par exemple, était entendu constamment. Dʻun certain point de vue, les Black Panthers furent à ce moment précis de lʻeffondrement du programmatisme, ce qui fait que … Continue reading Mais il ne faut voir l’alternative que dans la manière dont elle imbriquait révolution et contre-révolution dans le précédent cycle de lutte. L’alternative formalisait des pratiques de lutte, une fois qu’il était évident que toute identité ouvrière avait disparue. L’alternative n’était pas en elle-même une contre-révolution; c’est la contre-révolution qui se servait d’elle, qui l’achevait, en solidifiant les pratiques alors développées et les posant ainsi comme norme.

Ce cycle de lutte, comme tout cycle de lutte, a un horizon qui contient aussi sa propre contre-révolution. La présente contre-révolution a pour contenu avant tout la création d‘une identité qui ne peut exister que dans la contamination de la sphère privée par la sphère publique, contamination qui n‘est pas encore abolition des deux tout, autant que dans l’idée d’une autonomisation de la sphère de la reproduction. « A chacune des phases de son évolution, la lutte de classe doit surmonter la tradition des phases précédentes, afin de pouvoir clairement distinguer ses tâches propres et les mener à bonne fin. La révolution se développe ainsi au travers d’un processus de lutte interne. C’est en lui-même, en effet, que se forment les résistances dont le prolétariat doit triompher. Une fois ces résistances vaincues, ayant surmonté ses limitations propres, il s’oriente vers le communisme. »[39]A. Pannekoek, Révolution mondiale et tactique communiste, in S. Bricianer, Pannekoek et les conseils ouvriers, ed. EDI, p.176

Lorsqu’il n’y a pas généralisation, il y a alors perte du contenu de rupture qui était présent dans une pratique. En Egypte, si l’occupation de la place Tahir a pu permettre un rôle complètement nouveau des femmes dans la lutte -ne serait-ce que par le simple fait de devoir partager le même lieu nuit et jour, par le fait de devoir défendre ensemble un lieu-, un an plus tard, les viols et agressions de femmes y deviennent de plus en monnaie courante, et les manifestations dénonçant le harcèlement sexuel sont violemment attaquées.

Toute activité qui tend alors à aller au-delà de des pratiques développées dans les luttes, au-delà de l’identité qui naît autour de celles-ci, et a ainsi ne pas laisser se figer une pratique ou une identité s‘attaque à ce que le moment actuel produit de contre-révolution.

Auto-transformation, évènement et activité

Dans sa constitution, la Commune d‘Oakland devait s‘occuper de la totalité de la reproduction du prolétariat, sans un processus révolutionnaire autour. Ce qui veut dire s‘organiser pour la nourriture, la santé, le logement, les activités et tout ce qui s‘en suit, mais tout en restant emprisonnés dans des rapports et des catégories capitalistes et toute la « pourriture du vieux monde qui leur colle à la peau ». La Commune d‘Oakland s‘est donc organisée autour d‘une communauté qui était tout autant la communauté réelle de la lutte qu‘une communauté faisant partie du monde capitaliste. Les deals de drogues n‘étaient par exemple pas interdit, et, sachant que la police n‘entrerait pas le camp, beaucoup venaient échapper au harcèlement policier continuel et se retrouvaient ainsi à participer au camp tout en l‘utilisant comme lieu de vente (bien que les vendeurs traditionnels de la place voyaient eux leur chiffre de vente s’effondrer). Autre exemple, un participant fut trouvé dans le camp et tué par balle à quelques mètres de l’entrée par quelqu’un qui le recherchait, un mois exactement après le début du camp. La réalité alors a repris le dessus et tous les gens présents décrivent la scène comme un moment où plus personne ne sait quoi faire. Malgré cela, beaucoup étaient surpris qu’un tel fait arrive si tard dans la mesure où les bagarres à l’intérieur camp étaient constantes. Mais, pour beaucoup, la Commune d‘Oakland fut un processus d‘auto-transformation. L’histoire personnelle de S, souvent commentée, en est une illustration typique:

S., vivait sur la place avant la Commune. « Dès que le camp est arrivé, S. commença à travailler diligemment à la cuisine, aidant efficacement à ce qu’elle soit installée et distribuant les charriots de nourriture qui affluaient. Mais pour des raisons incertaines, S. devint de plus en plus irascible et un jour il perdit le contrôle de lui-même, brandissant un couteau de cuisine contre quelqu’un en réponse à une dispute. S. commença ensuite à menacer les gens et se retrouvait dans des bagarres plusieurs fois par jour. (…) Les tentatives de médiations ont la plupart du temps échoué, et S. paraissait immunisé contre toute forme de raison. Un jour, après qu’il ait commencé une autre bagarre, un groupe se forma et tenta de le sortir du camp. Mais S. revint, plus enragé et plus dangereux. Au final, pendant l’échauffourée qui a suivi, quelqu’un l’assomma avec une poutre. Quand il reprit conscience, il erra en dehors du camp, suivi par quelques infirmiers ambulants qui appelèrent une ambulance. Pourtant, il revint deux semaines plus tard. Son humeur était complètement changée et il dit qu’il prenait un traitement. Une fois de plus, il devint un participant à la vie du camp dévoué, se faisant de nouveaux amis et s’impliquant dans divers projets. »[40]« Mais un jour, après que une attaque de la police sur la place, il fut arrêté pour obstruction à un agent, infraction relativement légère dans le code pénal. Le comité Anti-répression ne … Continue reading

La commune d‘Oakland, n‘était donc ni une forme, ni un modèle, mais une dynamique. A la dynamique du camp faisait écho les dynamiques individuelles, en processus d’auto-transformation, mais toujours prisonnières du vieux monde.

Malgré ces bagarres internes quotidiennes, aucun organe de régulation de l’ordre ne fut mis en place à l’intérieur du camp. Le comité pour les lieux sûrs, « safe spaces », qui exista dès le début du camp, n’eût jamais et ne voulu jamais avoir la responsabilité de résoudre les bagarres. Et, plus important, les patrouilles anti-police furent tout le temps appelées à jouer le rôle de gardiens à l’intérieur du camp mais refusèrent toujours ce rôle et brisèrent toute possibilité de transformer ces patrouilles en milice internes en imposant une rotation continue des équipes. Le seul moyen de trouver une solution à ces problèmes et de remettre en question ce qui devait l’être, reposait alors sur les individus ou les groupes d’affinité.

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Se situant à l‘intérieur de la reproduction du prolétariat, la Commune d‘Oakland dut faire face à la catégorie du genre. Par « catégorie », nous n‘entendons pas une abstraction ou une vague classification sociologisante; chaque mode de production a ses catégories et c‘est au niveau le plus concret qu‘elles existent en tant que rapports.

Si le camp voulait pouvoir tenir le rôle de refuge qu‘il prétendait avoir (et il l‘était dans la mesure où il assurait des repas, des abris et une protection vis-à-vis de la police), il devait l‘être avant tout pour toute femme ou queer. Et c‘est ainsi que vient se placer la question de l’activité. Les femmes et les queers devaient s‘auto-organiser par question de survie [41]Sur le mouvement Queer, la survie et l‘auto-organisation, se reporter aux camarades de Bashback [Bashback! Queer ultraviolence, Anthology, Ardent Press]. Pour ceux qui considèrent que le terme … Continue reading, mais à l‘intérieur de la totalité qu‘était le camp. Et cette totalité, comme nous l‘avons vu, ne pouvait pas exister en tant que telle. Les femmes et les queers, s‘auto-organisant, étaient ainsi l‘une des principales dynamiques qui empêcha le camp de tomber dans une identité fantasmée, celle du « we are the 99% », par ce que le 99%, c‘est un ensemble compact fait de la pauvreté individuelle et de la violence des rapports capitalistes; le 99%, c‘est le harcèlement, le viol et le meurtre. L‘organisation d‘un front Occupy Patriarchy au sein du camp était un constant rappel que rien d‘autre que négativement unissait celui-ci; il était la création d’un front de lutte au coeur de la lutte et fut l’une des dynamiques qui alla contre le fait que la lutte, ne faisant pas face à ses propres limites, s’enlise dans une identité. Cela devint concrètement clair lorsque, dans le deuxième camp, femmes et queers ne furent pas aussi fortement organisées (beaucoup de préparation d‘actions se faisant alors en dehors du camp forçaient les anciens participants à n’être pas toujours présents tandis que de nouvelles personnes affluaient alors constamment) et que le harcèlement sexuel se mit à devenir de plus en plus fréquent.

Si la question du genre fut centrale dans la dynamique interne du camp, en partie par l‘implication de certaines tendances à l‘intérieur de celui-ci, le genre ne fut pas totalement remis en question. La connexion entre la question du genre et la limite qui était constituée par la sphère du travail est évidente: c‘est parce que la Commune d‘Oakland n‘attaquait pas la sphère du travail qu‘elle ne pouvait pas poser complètement la question du genre. Le travail est, dans le mode de production capitaliste, ce qui permet la séparation entre sphères: production et reproduction, publique et privé. Le travail crée le genre et sans saisir le travail, apparait toujours le risque de ne saisir le genre que par une essentialisation. Malgré cela, par l‘ancrage du camp à l’intérieur de la reproduction du prolétariat et par l‘activité de certaines parties du camp, la question du genre fut donc adressée dans le cours de la lutte.

*

Qu‘est qu‘un écart? C‘est un évènement qui dit: « Nous devons agir en tant que nous, mais nous ne pouvons plus exister en tant que nous« . C‘est le moment où ce qui forme une contrainte extérieure se retrouve remis en question par la production d‘une nouvelle pratique. Au coeur d‘une lutte, c‘est chaque instant qui pointe vers un possible dépassement de ce que la lutte est, de ses conditions et ses limites, vers une généralisation. Quelle est alors la marge d‘action autour et au sein de ces évènements? C‘est prendre part à des luttes, comprendre (pas forcement théoriquement) leurs limites, et se heurter a elles, en défendant des mesures et des pratiques qui pourront ouvrir l‘auto-organisation ou les pratiques inhérentes à une lutte vers leur abolition, une fois que la lutte se heurte à l’une de ses limites.

La communisation sera l‘abolition de toutes les classes par le prolétariat et ce dépassement est déjà produit dans les luttes actuelles tout autant qu‘est produite sa contre-révolution. Mais si la communisation n‘est rien d‘autre qu‘un ensemble de mesures visant à abolir toutes les catégories du capital, ces mesures devront être appuyées, appliquées et défendues. Elles ne tomberont pas du ciel. Ceci ne sera aucunement la propriété d‘un petit milieu communisateur, mais d‘un courant, dans le sens d‘un horizon partagé.

Ce qui est central dans ces activités, ce n‘est pas qu‘elles contiennent en elles le germe d‘une révolution à venir, ni qu‘elle puissent être un modèle pour ce que la communisation pourra/voudra/devra être, ni qu‘elles soient le début de la révolution. Ce sont les activités qui sont nécessaires dans une situation présente parce qu‘elles luttent avec la communisation comme horizon. Elles ne sont rien de plus que des pratiques, pratiques qui ne peuvent jamais être formalisées.

Le capital désire changer toute limite en barrière qu‘il peut dépasser. C‘est ce que désire aussi toute personne au coeur d‘une lutte, au moment d‘un écart. Cette limite, construite ou présente comme un nécessaire premier pas, c‘est l‘auto-organisation ou toute autre forme de pratique produite par la lutte. Le capital, en tant que mode de production, ne peut jamais dépasser ses limites. Lorsqu‘un mode de production transforme ses limites en barrières et les dépasse, c‘est qu‘il s‘est mué en un nouveau mode de production; toute limite est toujours définitoire. Lorsqu‘une lutte dépasse ses limites, elle abandonne alors « la lutte » et s‘engage dans un processus révolutionnaire; là, il n‘y a pas de mue, il y a rupture.

Adieux à la Commune

Certains peuvent remettre en question le fait que nous ayons choisi d‘appeler le mouvement Occupy Oakland la « Commune d‘Oakland ». Ce nom ne provenait pas juste d‘un petit groupe de militants prenants leurs désirs pour des réalités, mais reflète une réalité de la lutte, avec ses éclats remarquables comme ses faiblesses. Condamnée à une place et ayant la sphère du travail comme limite constitutive, la Commune d‘Oakland était à la fois l‘un des moments les plus saillants de la crise présente (ni son produit, ni sa cause, mais un moment de cette crise) et en même temps condamnée a être une enclave. Si nous avons tâché d’analyser cette lutte, c’est pour voir l’horizon vers lequel elle tend. Analyser une lutte, c’est ne pas voir « dans la misère que la misère », mais « y voir le côté révolutionnaire, subversif, qui renversera la société ancienne. »

En tout ce qu‘elle a pu permettre, la Commune d‘Oakland, en tant qu‘évènement, était le plus fort écho du futur nous disant que s‘il y aura une révolution, son contenu sera désormais la complète abolition de toutes les catégories et rapports du mode de production capitaliste. En tant que cristallisation du moment actuel, la commune d’Oakland démontra chaque jour, dans ses victoires tout autant que dans ses défaites, que chaque catégorie du mode de production capitaliste crée une limite que la lutte doit dépasser. Ce dépassement n’est possible que par une généralisation, une contamination de tous les tissus cellulaires de la société. Cette généralisation n’est pas un élargissement, mais un moment de rupture.

L‘expansion des luttes au-dehors du lieu de travail, considérant la reproduction comme un tout est un moment de la crise, quelque chose que personne n‘aurait pu prévoir. De cette manière, les occupations américaines, et à Oakland plus qu‘ailleurs, étaient un pas de plus que Décembre 2008 en Grèce. Beaucoup de luttes sont maintenant dans la sphère de la reproduction et la sphère du travail est alors toujours une limite constitutive de ces luttes. Trois raisons à cela: la fin de l‘identité ouvrière et de sa tradition de lutte (ce qui est aussi la liquidation de son encadrement juridique), la diversité du prolétariat en temps de crises (une fois que les différentes strates s‘effondrent) et avant tout, la baisse drastique du salaire réel en comparaison du salaire nominal. Conséquemment, l‘autonomisation et la personnification des moments du procès de production sont alors souvent le premier horizon des luttes (ne voir que le capital financier comme parasitaire de la « véritable économie », « les 1% », etc.). Mais si le travail et la production sont toujours des fantômes dans ces luttes, cela ne veut aucunement dire que les travailleurs productifs seront la figure centrale des luttes à venir. Le travail et la production devront être complètement absorbés en tant que catégories avant que des mesures puissent être prises pour leur abolition.

Si une période révolutionnaire advient, les luttes dépasseront alors la séclusion de ces sphères, non pas en considérant la production comme le centre que l‘on avait jusque-là oublié ou pas vu, mais en étendant les attaques du coeur de la reproduction vers le coeur de la production. La production ne pourra plus être le centre comme elle le fut avant, mais seulement la partie d’un tout. Les luttes ne se transformeront pas étapes par étapes, mais traverseront des moments de rupture. Au coeur des luttes, ces moments de rupture laisseront entrevoir, dans sa totalité, le mode de production qui repose sous un uniforme anti-émeute.

Rust Bunny collective, Automne 2012

Note: chaleureux remerciements aux camarades qui, par leur aide, leurs informations et leurs analyses, ont permis l’écriture de ce texte. « Nous sommes du côté de la vie éternelle de l‘espèce, nos ennemis sont du côté sinistre de la mort éternelle. Et la Vie les engloutira, en synthétisant les deux termes de l‘antithèse dans la réalité du communisme. »[42]A. Bordiga, Le programme révolutionnaire de la société communiste élimine toute forme de la propriété de la terre, des installations productives et des produits du travail, in Bordiga et la … Continue reading

References

References
1 No there there. Race, class and political community in Oakland, C. Rhomberg, University of California Press, p. 119. Concernant Oakland, se reporter en premier à American Babylon: Race and the Struggle for Postwar Oakland, Robert O. Self, Princeton University Press.
2 Nos excuses aux lectrices et lecteurs des Etats-Unis qui trouveront désagréable l’emploi du mot « ghetto » dans ce texte, particulièrement à celles et ceux qui vivent dans des lieux qui sont décrits comme tels dans les médias. Nous ne sommes aucunement indifférents aux formes de solidarité et d’auto-organisation qui y existent et qui sont constamment ignorés. Nous n’utilisons ce mot que comme un terme technique qui a prouvé, tout au long des 60 dernières années, avoir une base matérielle. L’utilisation de ce terme ne veut en aucun cas avoir un aspect sensationnaliste tel qu’il est souvent employé, mais tenter de comprendre quelle position est donnée à certains groupes dans une société de classes qui n’offre guère plus qu’une dépossession absolue aux classes les plus basses, ainsi que de comprendre la longue histoire de luttes qui émerge des lieux où ces groupes ont bien souvent été forcés de résider par un ensemble structurel de massacre économique, de lois racistes et de plans d’urbanisation. De plus, nous tenons à ajouter que ce texte a été écrit par des Européens de l’Ouest. Tout ton sombre quant aux conditions de vie dans les parties les plus pauvres d’Oakland peuvent être dues aux quantités gigantesques de violence et de misère qui y ont été créées par les capitaux et les capitalistes des Etats-Unis, quantités auxquelles certains y résidant peuvent être plus habitués.
3 « Ethnique » et « origine ethnique » servent ici à exprimer, faute de mieux, l’anglais « race », dans son utilisation commune et non-péjorative aux Etats-Unis.
4 Loic Wacquant, Parias urbains, La Découverte, p.29 (trad. rev.)
5 En cela, le mouvement étudiant anglais fut un autre contre-exemple. Les frais d‘inscription en université ayant été augmentés en même temps que baissaient les bourses familiales scolaires, les manifestations étudiantes furent envahies de collégiens proclamant « Nous venons des bidonvilles de Londres ».
6 Il y a eu 1 887 777 classement en saisies immobilières en 2011 aux Etats-Unis, ce qui représente 1.45% des logements (1 sur 69). En 2010, cela touchait 2.23% des logements (1 sur 45), en 2009, 2.21% et en 2008, 1.84% (1 sur 54). La Californie a un des taux de saisies les plus haut du pays depuis le début de la crise. A Oakaland, ce sont 10 508 logement qui ont été saisis entre janvier 2007 et octobre 2011. Dans 42% des cas, ces logements ont été rachetés par des investisseurs immobiliers. Le prix de la location au mois est ensuite environ le double du prix de remboursement par mois d‘un crédit sur 30 ans.
7 Michael Seidman, Ouvriers contre le travail, Senonevero, p. 321.
8 Il est vrai que toute périodisation a tendance à simplifier. Ainsi la périodisation développée au sein du courant communisateur est très eurocentriste. La question n’est donc pas de vouloir arrêter une date précise de début et de fin pour chaque période, mais de pouvoir utiliser cela comme un outil afin de comprendre les changements de rapports entre le capital et le prolétariat. Par restructuration, nous entendons donc la période qui s’étend approximativement du début des années 70 à nos jours, c’est-à-dire la période où il n’est plus possible d’avoir le pouvoir ouvrier comme force dirigeante de la révolution.
9 Nous appelons programmatisme la période qui s’étend du milieu du XIX ème siècle aux années 70 (années de la restucturation). Il ne s’agit pas de voir en celui-ci, contrairement à Moishe Postone, une erreur ou mauvaise interprétation de Marx, mais une période de la lutte de classe. Lénine, Makhno ou Pannekoek était tous programmatistes. Décrivant la gauche allemande, Gilles Dauvé donne une définition précise du programmatisme: « La réalité de l’entreprise, comme forme de production spécifiquement capitaliste n’était pas remise en question. Encore moins s’agissait-il de penser l’abolition de l’économie. (…) L’autogestion par les conseils ouvriers, c’est le la capital vu du point de vue de l’ouvrier, c’est-à-dire du point de vue du cycle du capitalisme productif. » [Ni Parlement ni syndicats: les conseils ouvriers!, nouvelle édition, Les nuits rouges, p.6] Il est futile de vouloir comprendre les « erreurs » du programmatisme; il s’agit maintenant de comprendre en quoi, à travers lui, nous pouvons affirmer que cette période est révolue.
10 Lire à ce sujet Les autoréductions, Yann Colonges et Pierre G. Randal (Entremonde). L‘occupation de la place du Capitole à Rome du 10 au 20 mars 1970 par le Comité d‘Agitation des Banlieues peut en cela être vu comme un lointain précédent du mouvement Occupy. Plus généralement, un travail de réévaluation de l’Autonomia devrait avoir lieu, les principaux textes de la vulgate communisatrice ne parlant d’autonomie que comme un concept très vague qui s’adapterait aussi bien à l’Italie des années 70, l’Allemagne des années 80 qu’au Mouvement d’Action Directe.
11 Pour un développement plus en profondeur du rapport à la police et à l’Etat dans le cas de l’Etat rentier, se référer à Hanging by a Thread: Class, Corruption and Precarity in Tunisia, L.S., Mute magazine: « La corruption est alors (…) un moment de la quotidienneté de l’Etat, harcelant la reproduction de la masse des marginaux dans la restructuration de l’économie égyptienne. Ainsi l’expérience de plus en plus particularisé de la relation à l’Etat, est une expérience universelle de classe. On pourrait dire que dans le moment de reconnaissance qui déclencha la révolte, la particularisation du destin de l’individu et la fragmentation de l’expérience est comprise comme une expérience de classe. »
12 Oscar Grant fut exécuté de sang froid par la police des transports (BART) la nuit du nouvel an 2009, d‘une balle dans la tête, alors qu‘il était menotté, plaqué au sol et sans arme. Plusieurs émeutes ont eu lieu la semaine suivante et le jour du verdict (le flic a été condamné à deux ans ferme) en Juillet 2010. La particularité de ce meurtre (somme toute assez banal pour un département de police comme celui d‘Oakland ou des transports de la région -OPD et BART-) est qu‘un train rempli de passagers était stationné en face. Les vidéos du meurtre étaient visionnées plusieurs centaines de milliers de fois sur internet dans les jours suivants.
13 Douze ans après le démantèlement du gang des Riders à l’intérieur de l’OPD (qui avait simplement organisé la pratique très courante au sein de l’OPD de planquer des fausses preuves, de racketter le marché noir et de gérer une partie du trafic de drogue), la mairie ayant officiellement faillie à restructurer sa police comme le lui avait demandé le juge responsable des poursuites, la police pourrait est toujours sous le coup d’une menace de mise sous tutelle fédérale.
14 Beaucoup de forces de police en Californie sont célèbres pour avoir été volontairement historiquement constituées de suprématistes texans invités par les soins d‘une hiérarchie ouvertement raciste. A ce sujet, lire le brillant City of quartz de Mike Davis (La Découverte) pour le cas de William Parker à Los Angeles.
15 Au sujet des occupations de 2009, lire Communiqué d‘un futur absent (lamitrailleuse.wordpress.com). Celles-ci, particulièrement en Californie, formèrent un précédent évident au mouvement Occupy, au-delà des participants communs aux deux mouvements, ne serait-ce que pour la mise en avant de la stratégie d’occupation et leur lien avec la crise.
16 Par « radicaux », nous n‘entendons pas les porteurs d‘une conscience juste à laquelle des jeunes grandis dans un ghetto ne peuvent jamais avoir accès, de la même manière que nous ne considérons pas que grandir dans un ghetto produit naturellement de la radicalité (position qui revient toujours à tendre vers une théorie d‘immisération). La « radicalité » des groupes « radicaux » n‘existe que comme idéologie, idéologie qui parfois s‘adapte à une lutte mieux qu‘une autre. Quant à la véritable radicalisation, elle n‘est que le produit des luttes.
17 Injonction sur un territoire précis mise en place par un juge décidant, au nom de la lutte contre le traffic de drogue, qui peut ou non marcher dans ces rues (sans que soit prise en compte si la personne ou ses proches vivent là), décidant s‘il doit y avoir un couvre-feu, donnant des droits spéciaux à la police sur ce territoire,… mais avant tout qui définit quels sont les signes d‘appartenance à un gang (avoir un T-Shirt jaune, porter du rouge,…). Les injonctions ont été inventées à Los Angeles dans les années 80, depuis elles sont une méthode constante et classique de la police et de la justice, à tel point que beaucoup de peines reçues dans les procès concernant le mouvement s‘apparentaient souvent à des injonctions (interdiction de franchir tel périmètre autour de la place, enfants pris de force et remis aux services sociaux, etc.).
18 En anglais, to move in veut dire emménager mais aussi intervenir.
19 Le droit de grève a été détruit aux Etats-Unis à partir du Taft-Hartley Act de 1947. Ce dernier avait été mis en place suite à la grève générale d‘Oakland en 1946.
20 Syndicat qui représente avant tout les dockers sur la côte Ouest. Né après la grève générale de 1934, considéré comme l’un des derniers syndicats avec des positions parfois plus « radicales ». Il joua le rôle principale dans la lutte de Longview.
21 Le mouvement contre la réforme des retraites de 2010 en France et la généralisation des piquets volants fut en ce sens un cas exemplaire. Pour une discussion concernant ce sujet, voir le texte de Léon de Mattis, Grève vs Blocage, www.leondemattis.net.
22 L‘importance de l‘attrait pour l‘idée de « grève humaine » dans les discussions autour de la Commune d‘Oakland fait écho, d‘une certaine manière, au succès qu‘avait eu le terme dans le mouvement contre la réforme des retraites en 2010. Bien qu‘éloigné, alors, de sa signification originale telle que développée dans le texte Echographie d‘une puissance (Tiqqun 2) qui était bien plus liée aux nouveaux types grèves développées dans la sphère de la reproduction par les féministes autonomistes italiennes, l‘utilisation de ce même concept trahit une volonté l‘élargir la notion de grève au-delà de la sphère de la production.
23 On ne peut parler de « services » que si on les défini comme production immatérielle, ce qui ne veut rien dire. Il n‘y a que trois secteurs dans l‘économie: celui pour la production des moyens de productions, celui pour la production de la consommation du prolétariat (payée par le salaire) et la consommation de luxe (payée par le revenu). Un employé de Mac Donalds ou d‘un call center pour de la vente de forfaits de téléphones portables ne fait que maintenant le travail qu‘aurait fait un agriculteur cueillant des pommes de terres avant: il travaille pour la consommation du prolétariat, pour ce qu‘est sa reproduction à un moment donné (l‘idée idiote de besoin et de « faux-besoin » n‘intervient pas là-dedans, la reproduction du prolétariat est sans cesse étendue et sa limite, c‘est ce qui est socialement nécessaire – « the transformation of what was previously superfluous into what is necessary, as a historically created necessity — is the tendency of capital » [Marx, Grundrisse, Penguin, p. 528]). Son travail, comme celui de l‘agriculteur, est payé par le salaire, et ne se retrouve, dans le procès de production suivant, que dans le fait que le corps du prolétaire a été remis dans le face à face avec le capital lors de la vente de la marchandise force de travail. En cela, l‘idée d‘un secteur des services qui s‘étend de la finance à la chaîne de fast-food n‘est qu‘un calque de l‘économie bourgeoise et de ses bons espoirs.
24 Introduction à la critique de l‘économie politique, 1857, in Contribution à la critique de l‘économie politique, Ed. Sociales, p.161.
25 Le moment actuel, SIC 1, p.138
26 Théories sur la plus-value, livre I, ed. Sociales, p.461
27 Marx, Grundrisse, editions Sociales GEME, p.429  » L’argent que A échange contre le travail vivant -service payé en nature ou service qui s’objective en une chose- n’est pas du capital, mais du revenu, de l’argent comme moyen de circulation servant à obtenir une valeur d’usage, où la forme de la valeur est seulement posée comme quelque chose qui disparaît, et non de l’argent qui, par l’achat du travail, veut se conserver et se valoriser en tant que tel. » [ibid. p.428]
28 ibid. p.237
29 Théories sur la plus-value, livre I, ed. Sociales, , p.479
30 Le chapitre VI, ed. Sociales GEME, p.219-220
31 Le terme ambigu de « classe-moyennes » est ici employé par faute de mieux. S’il est incontestable qu’une bonne partie des « classes moyennes » américaines sont composés d’ouvriers (ou d’héritiers de ces ouvriers-là) qui ont vu leur qualité de vie grimper en même temps que leurs salaires et que leur crédits pendant les années de boom économique, ces classes ont toujours une vision du monde qui leur est propre. Ainsi, bien qu‘elles en fasse partie, les mettre sous le terme « prolétariat » sans comprendre leurs particularités, c’est ne pas comprendre les chocs qui se produisent à l’intérieur de celui-ci une fois que les différentes strates s’effondrent. La re-prolétarianisation d’une partie des « classe-moyennes » est un des aspects principaux de cette crise. Ces gens y jouent un rôle majeur mais aussi particulier. C’est à cette particularité que nous devons nous adresser.
32 Le Tumblr « wearethe99percent » donne une idée assez précise de ce qu‘ont en commun ceux qui pensaient se rallier au mouvement des occupations et avaient au moins toujours une connexion à Internet: rien, si ce n‘est une vie brisée par la misère économique. Au-delà du côté poignant de beaucoup de ces textes, ce qui frappe c‘est qu‘aucune demande ne peut en ressortir. Les gens y exposent leur misère économique personnelle avec la triste variété qui va avec sans la moindre trace d‘espoir, si n‘est celle d‘un « Tous ensemble! ».
33 Il ne faut pas oublier que des camps remplis de tentes sont un élément banal du décor américain. Depuis 2009, le développement des Tent Cities, villes sans-abris bâtis à l‘intérieur ou dans les périphéries des villes, suit de manière parallèle les saisies immobilières. Sacramento, avec sa célèbre Tent City de plus de 1 500 personnes en 2009 -dont une grande partie d‘anciens camionneurs ou d‘ouvriers du bâtiments-, fut sous l‘oeil de toutes les caméras avant d‘être détruite une semaine après la visite du gouverneur de l‘Etat, A. Schwarzenegger. Rappel involontaire, la Tent City trouvait sur les bords la rivière de la ville, haut lieu de la ruée vers l‘or.
34 Les « non-profits » ne sont pas l‘équivalent des associations charitables françaises. Il s‘agit de sociétés économiques qui peuvent réaliser des profits mais qui sont censées en redistribuer une partie dans des projets publics. En échange d‘un taux d‘imposition très bas, ces organisation se retrouvent souvent a réaliser les derniers restes d‘un Etat-providence dans les quartiers les plus défavorisés. Souvent elles sont dirigées par les restes des mouvement radicaux passé: anciens Panthers, anciens maoïstes,… tous considérant que c’est là la seule possibilité de pouvoir toujours faire quelque chose à l’heure actuelle. Leur constitution étrange en fait des organes économiques très puissants, très impliqués dans la vie politique des villes, mais aussi très respectés dans une partie de la population la plus pauvre.
35 Le mouvement des « Indignados » en Grèce, Rocamadour, SIC 1
36 Les tentatives d‘organisation en tant que précaires n‘ont eu lieu qu‘une fois que le mouvement avait perdu tout souffle et avait perdu espoir de pouvoir reconquérir un espace; de plus elles ne sont jamais allées au-delà du milieu « radical ».
37 Malgré cela, une question peut-être posée: pourquoi le mouvement ne réussit pas à intégrer la population d‘origine chinoise alors que Chinatown est à 200 mètres de la place?
38 « Power to the people! », par exemple, était entendu constamment. Dʻun certain point de vue, les Black Panthers furent à ce moment précis de lʻeffondrement du programmatisme, ce qui fait que leurs moyens de lutte ne furent situés que dans lʻattaque de la sphère de la reproduction (repas gratuits, écoles libres, comités de défense de quartiers, droits des femmes,…) tandis que leur structure théorique et organisationnelle restait sur une base purement programmatique.
39 A. Pannekoek, Révolution mondiale et tactique communiste, in S. Bricianer, Pannekoek et les conseils ouvriers, ed. EDI, p.176
40 « Mais un jour, après que une attaque de la police sur la place, il fut arrêté pour obstruction à un agent, infraction relativement légère dans le code pénal. Le comité Anti-répression ne fut cependant pas capable de le faire sortir, puisqu’il était en liberté surveillée. Il fut transféré en prison, où, comme d’habitude, on lui refusa ses médicaments. Ce qui s’est passé ensuite n’est pas très clair, mais il aurait soit-disant attaqué un gardien. L’accusation qu’il reçu pour cela, celle de « felony » contre un agent, aurait pu être une potentielle troisième condamnation pour « felony », par conséquent, en Californie, perpétuité. Bien qu’il y avait tout un sous-comité dédié à sa défense, il fut contraint d’accepter une négociation de peine pour éviter de risquer une troisième condamnation pour « felony ». Il purge maintenant une peine de 4 ans. » J. Bernes: Square and Circle, the Logic of Occupy (thenewinquiry.com)
41 Sur le mouvement Queer, la survie et l‘auto-organisation, se reporter aux camarades de Bashback [Bashback! Queer ultraviolence, Anthology, Ardent Press]. Pour ceux qui considèrent que le terme « survie » est un éxagération, rapellons simplement deux meurtres. Brandy, transexuel/le noire, fut abattu par balles, à moins de 100 mètres où se tenait le camp, au mois d‘Avril suivant par un homme enragé de découvrir qu‘il/elle était transexuel/le. Tsega Tsegay, active participante au camp, fut battue à mort par son mari quelques mois plus tard.
42 A. Bordiga, Le programme révolutionnaire de la société communiste élimine toute forme de la propriété de la terre, des installations productives et des produits du travail, in Bordiga et la passion du communisme, Spartacus, p.69